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Le public de Racine est celui des salons galants et de la Cour. Il attend des sujets qui traitent d'histoires d'amour malheureux, de la poésie élégiaque car ce public aime verser des larmes. Un roi a-t-il le droit d'être amoureux ? C'est le genre de discussion qui intéresse. Bérénice, créée de novembre 1670 à janvier 1671, répond à cette attente comme le prouve le très grand succès qu'elle rencontra. Pourtant, loin d'être un héros galant de L'Astrée, Titus est un héros romain : il préfère sacrifier son amour pour rester digne de sa fonction d'empereur. Muriel Mayette, qui a mis en scène la pièce en 2011 avec la troupe de la Comédie française, rappelle que « l’action se situe sur le seuil, entre deux portes, c’est là que tout se dit, un territoire privé, l’antichambre de l’amour. (...) D’un côté le sénat attend, de l’autre Bérénice pleure. Mais là, au milieu de ce suspens, la parole résout l’impossible dilemme. (...) Un espace partagé par toutes les tragédies, un temple, un palais, une verticale vertigineuse qui nous donne conscience de notre petitesse. Un espace mental et sensuel, qu’un lever de soleil peut seul réussir à ouvrir. »

Titus, qui s’apprête à devenir l'empereur de Rome, vient d’annoncer à Bérénice qu’il a pris le parti d’obéir à son devoir et à la volonté du peuple qui exige de lui qu’il renonce à son amour pour elle, car c'est une étrangère. Bérénice lui répond.


Racine, Bérénice, Mise en scène de Jean-Louis Barrault. 1955 : photographies de Etienne Bertrand Weill http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b85397930.r=Racine%2C%20Jean%20b%C3%A9r%C3%A9nice


Bérénice
— Hé bien ! régnez, cruel ; contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments,
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même, j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours, si longs pour moi, lui sembleront trop courts.

Jean Racine
Bérénice , acte IV, scène 5 
1670