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Andromaque, veuve du héros troyen Hector, est la prisonnière de Pyrrhus, roi d’Epire, une des provinces grecques. Elle vit dans la douleur du deuil et dans la peur de perdre son tout jeune fils Astyanax. Passionnément épris d’Andromaque alors qu’il doit épouser la grecque Hermione, Pyrrhus propose le mariage à sa prisonnière. Il s’engage à échange protéger Astyanax qu’Oreste veut tuer pour empêcher qu’il ne reprenne un jour les armes pour venger son père et son peuple. Les intrigues amoureuses sont étroitement mêlées et montrent le caractère inextricable de la situation dramatique : « Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui reste fidèle à Hector qui est mort ».

Céphise, confidente d’Andromaque, l’incite à accepter le mariage avec Pyrrhus dont elle vante les qualités. Elle lui rappelle le danger encouru par Astyanax. Andromaque doit choisir entre la fidélité à Hector et la vie de son fils.


Racine, Andromaque : gravure pour Andromaque d’après un dessin de Chéron (1723) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200192x/f4.item.r=Racine,%20Jean%20andromaque


ANDROMAQUE
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ;
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage ;
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ;
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes ;
Qu'il nous prenne, s'il veut, pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seraient asservis.

CEPHISE
Eh bien, allons donc voir expirer votre fils :
On n'attend plus que vous... Vous frémissez, Madame ?

ANDROMAQUE
Ah ! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme !
Quoi ? Céphise, j'irai voir expirer encor
Ce fils, ma seule joie, et l'image d'Hector ?
Ce fils, que de sa flamme il me laissa pour gage ?
Hélas ! je m'en souviens, le jour que son courage
Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas,
Il demanda son fils, et le prit dans ses bras :
« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
J'ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S'il me perd, je prétends qu'il me retrouve en toi.
Si d'un heureux hymen la mémoire t'est chère,
Montre au fils à quel point tu chérissais le père. »
Et je puis voir répandre un sang si précieux ?
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ?
Roi barbare, faut-il que mon crime l'entraîne ?
Si je te hais, est-il coupable de ma haine ?
T'a-t-il de tous les siens reproché le trépas ?
S'est-il plaint à tes yeux des maux qu'il ne sent pas ?
Mais cependant, mon fils, tu meurs si je n'arrête
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.
Je l'en puis détourner, et je t'y vais offrir ?...
Non, tu ne mourras point, je ne le puis souffrir.
Allons trouver Pyrrhus. Mais non, chère Céphise,
Va le trouver pour moi.

Jean Racine
Andromaque , acte III, scène 8 
1667