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En 1532, François Rabelais, moine et médecin, rencontre un franc succès avec son Pantagruel qui l’encourage à faire paraître une suite en 1534 : Gargantua. Le géant Gargantua est le père de Pantagruel. Ces deux romans d’apprentissage et de chevalerie sont inspirés des contes populaires et écrits sur le mode d’une parodie joyeuse. Gargantua s’ouvre avec deux pôles essentiels et complémentaires de l’œuvre de Rabelais résumés dans ces deux citations : « rire est le propre de l'homme », et celle de l’invitation du prologue à « rompre l'os, et sucer la substantifique moelle ». C’est à travers les vertus du rire que Rabelais développe les idées humanistes, souvent trop nouvelles pour la Sorbonne, faculté de théologie puissante conservatrice qui poussera Rabelais à s’exiler, à Metz par exemple. Gargantua reprend le plan et les mêmes motifs que Pantagruel : naissance, enfance et éducation, prouesses chevaleresques et aventures fabuleuses, marquées par les facéties, l’appétit, l’appétence et la bonhomie du géant.

Gargantua, fils héritier du roi Grandgousier, a reçu une éducation humaniste et une formation militaire pour devenir un bon souverain. Il est confronté à une guerre qui l’oppose au mauvais roi Picrochole. Frère Jean défend seul et avec héroïsme les vignes d’une abbaye située sur le territoire de Grandgousier. Picrochole vaincu, il reste à récompenser Frère Jean qui souhaite voir lui accorder de « fonder une abbaye à [s]on idée. » Gargantua lui offre, au bord de la Loire, son pays de Thélème, dont le nom signifie en grec « volonté droite », « désir souverain ».


http://classes.bnf.fr/dossitsm/index.htm (biographie de Rabelais, les académies, le classement des savoirs, les grandes découvertes)

Toute leur vie était dirigée non par les lois, statuts ou règles, mais selon leur bon vouloir et libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce soit... Ainsi l'avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause : FAIS CE QUE VOUDRAS, car des gens libres, bien nés, bien instruits, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice ; c'est ce qu'ils nommaient l'honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu, afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est dénié.
Par cette liberté, ils entrèrent en une louable émulation à faire tout ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une disait : " Buvons ", tous buvaient. S'il disait : "Jouons ", tous jouaient. S'il disait : " Allons nous ébattre dans les champs ", tous y allaient. Si c'était pour chasser, les dames, montées sur de belles haquenées, avec leur palefroi richement harnaché, sur le poing mignonnement engantelé portaient chacune ou un épervier, ou un laneret, ou un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient tant noblement instruits qu' il n'y avait parmi eux personne qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler cinq à six langues et en celles-ci composer, tant en vers qu'en prose. Jamais ne furent vus chevaliers si preux, si galants, si habiles à pied et à cheval, plus verts, mieux remuant, maniant mieux toutes les armes. Jamais ne furent vues dames si élégantes, si mignonnes, moins fâcheuses, plus doctes à la main, à l'aiguille, à tous les actes féminins honnêtes et libres, qu'étaient celles-là. Pour cette raison, quand le temps était venu pour l'un des habitants de cette abbaye d'en sortir, soit à la demande de ses parents, ou pour une autre cause, il emmenait une des dames, celle qui l'aurait pris pour son dévot, et ils étaient mariés ensemble ; et ils avaient si bien vécu à Thélème en dévotion et amitié, qu'ils continuaient d'autant mieux dans le mariage ; aussi s'aimaient-ils à la fin de leurs jours comme au premier de leurs noces.

François Rabelais
Gargantua , « L'abbaye de Thélème » ch. LV
1534