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Dans ce roman épistolaire, deux Persans, Usbek et Rica, ont quitté l’Orient pour découvrir l’Europe et relatent leur voyage à leurs amis restés au loin. Leur séjour se prolonge de 1712 à 1720 ; ils observent la société française avec leur regard étonné d’étrangers, et les lettres fictives sont l’occasion pour Montesquieu de critiquer indirectement la monarchie, les mœurs de son temps, la religion, à la fin du règne de Louis XIV mort en 1715 et sous la régence de Philippe d’Orléans.

Rica écrit à son ami Rhédi. Il peint les travers et les ridicules de la société française par le biais de l’évocation de la mode ; il montre les Français se soumettant aux modes les plus extravagantes.


Enregistrement parlé de l'extrait de 1912http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k129468g.r=montesquieu%20lettres%20persanes
Coiffures de Marie-Antoinettehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6940329g/f1.item
Lumières ! Un héritage pour demainhttp://expositions.bnf.fr/lumieres/index.htm

Rica à Rhedi, à Venise.
Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il s’imagine que c’est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies.
Quelquefois les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.
Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.
De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.
Lettre XCIX.

Charles-Louis de Secondat de Montesquieu
Lettres Persanes, lettre XCIX 
1721