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Les Essais qui ont occupé la majeure partie de l’activité intellectuelle de Montaigne forment un ouvrage hybride, composé à l’écart du monde de la Cour, l’auteur ayant décidé de préférer la fréquentation des auteurs antiques à celle de ses contemporains. Il s’agit de réflexions sans cesse renouvelées sur la nature de l’homme. Si le point de vue de l’auteur domine, il s’ouvre toutefois à la discussion et les constats posés sur le monde deviennent sujets à délibération.

L’explication du titre du chapitre « Des Coches » qui désigne de grands véhicules de transport ne vient qu’à la toute fin du texte. Montaigne critique, par cette image, le luxe et la richesse qui semblent assurer un pouvoir de domination sur l’autre. L’humaniste, en prenant l’exemple du Nouveau Monde, met en avant la vertu de ses peuples pour mieux blâmer la cupidité et la vanité de l’Européen.


Lisez une courte biographie de Montaigne sur le site de la bnf et proposez une explication au « scepticisme » de Montaigne. http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-montai.htm

Notre monde vient d’en découvrir un autre. Et qui peut nous garantir que c’est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sibylles et nous-mêmes avons ignoré celui-là jusqu’à maintenant ? Il n’est pas moins grand, ni moins plein, ni moins doté de membres ; mais il est si jeune et si enfant qu’on lui apprend encore son a, b, c. Il n’y a pas cinquante ans, il ne connaissait encore ni les lettres, ni les poids, ni les mesures, ni les vêtements, ni le blé, ni la vigne ; il était encore tout nu dans le giron de sa mère et ne vivait que grâce à elle. Si nous jugeons bien de notre fin prochaine, comme Lucrèce le faisait pour la jeunesse de son temps, cet autre monde ne fera que venir au jour quand le nôtre en sortira. L’univers tombera en paralysie : l’un de ses membres sera perclus et l’autre en pleine vigueur.
J’ai bien peur que nous n’ayons grandement hâté son déclin et sa ruine par notre contagion, et que nous lui ayons fait payer cher nos idées et nos techniques. C’était encore un monde dans l’enfance, et pourtant nous ne l’avons pas dressé, ni plié à nos règles par la seule vertu de notre valeur et de nos forces naturelles. Nous ne l’avons pas conquis par notre justice et notre bonté, ni subjugué par notre magnanimité. La plupart des réponses que les gens de ce monde-là nous ont faites et des négociations que nous avons menées avec eux ont montré qu’ils ne nous devaient rien en matière de clarté d’esprit naturelle et de pertinence. L’extraordinaire magnificence des villes de Cuzco et de Mexico, et parmi bien d’autres merveilles les jardins de ce roi où tous les arbres, les fruits et les herbes, dans le même ordre et avec la même taille que dans un jardin ordinaire, étaient en or, de même que dans son cabinet de curiosités, toutes les sortes d’animaux qui naissent en son pays et dans ses mers, la beauté de leurs ouvrages en joaillerie, en plume, en coton ou dans la peinture – tout cela montre bien qu’ils n’étaient pas non moins habiles que nous. Mais quant à la dévotion, à l’observance des lois, la bonté, la libéralité, la franchise, il nous a été bien utile d’en avoir moins qu’eux ; cet avantage les a perdus, ils se sont vendus et trahis eux-mêmes.

Montaigne
Les Essais , « Des Coches », livre III, chapitre VI [Notre monde vient d’en rencontrer un autre]
1580 pour le texte originel