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L’argument de L’Ecole des Femmes est bien connu, et n’est d’ailleurs pas une invention de Molière : thème maintes fois repris par des auteurs du XVII°, comme Scarron, il est celui d’une jeune fille convoitée par un « barbon », homme d’âge très mur, qui veut s’approprier une jeune personne par divers procédés, souvent contre le gré de la jeune fille. Dans la pièce de Molière, Arnolphe, terrorisé par la perspective d’être dupé par une femme trop intelligente et rouée, et donc de devenir cocu, achète ni plus ni moins une fillette qu’il prend soin « d’élever » à défaut d’éduquer, dans la plus grande ignorance. Il veut ensuite l’épouser, en se posant comme seul responsable de sa vie et de son destin. Il la séquestre chez lui, et demande bien de « n’ouvrir à personne ». La jeune fille, illettrée, trouve pourtant moyen d’écrire maladroitement à un amoureux, en apparence repoussé, mais secrètement aimé. Le quiproquo de la scène 5 tient d’abord à l’ignorance d’Horace, l’amoureux, croyant se confier à un ami, alors qu’Arnoplphe n’est autre que le futur mari jaloux tenant dans le secret sa jeune prisonnière.

Dramatiquement, la scène est savoureuse en raison du quiproquo, et du confident inapproprié. Mais cette tension comique se double d’un moment émouvant, puisque cette lettre, écrite secrètement par une jeune fille censée ne pas savoir écrire, est d’une redoutable efficacité amoureuse, et révèle la puissance d’un esprit désireux d’apprendre tout autant que d’aimer. Du point de vue formel, le fait que la lettre soit écrite en prose, au cœur d’une pièce en vers, achève de lui donner un relief et un naturel inattendus.


Photographies de la mise en scène de Jean-Luc Boutté (1992) avec Jacques Weber et Isabelle Carré http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9068608t.r=L%27%C3%A9cole%20des%20femmes


Horace Mais il faut qu'en ami je vous montre la lettre.
Tout ce que son cœur sent, sa main a su l'y mettre,
Mais en termes touchants et tous pleins de bonté,
De tendresse innocente et d'ingénuité,
De la manière enfin que la pure nature
Exprime de l'amour la première blessure.

Arnolphe, bas. Voilà, friponne, à quoi l'écriture te sert ;
Et contre mon dessein l'art t'en fut découvert.

Horace, lit. "Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connaître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d'en dire plus que je ne devrais. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait ; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est que pour m'abuser ; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu'elles soient menteuses. Dites moi franchement ce qui en est ; car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez ; et je pense que j'en mourrais de déplaisir."

Arnolphe Hon ! chienne !

Molière
L'École des femmes, acte III, scène 4 
1662