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Dom Juan ou le Festin de pierre est une comédie en cinq actes et en prose que Molière a écrite assez rapidement après l’interdiction du Tartuffe. La pièce met en scène un noble libertin, un homme qui ne respecte aucun principe, ni moral ni religieux ; il n’hésite pas à promettre le mariage à une femme qu’il veut séduire, puis il l’abandonne, comme il vient de le faire avec Done Elvire, projetant toujours une nouvelle conquête.

Le premier acte est consacré à la présentation de Dom Juan. Dans la scène précédente, son valet l’a décrit comme « un grand seigneur méchant homme » à Gusman, serviteur de Done Elvire. Dom Juan fait son entrée dans cette scène ; il vient de confirmer qu’il a « un nouvel amour en tête » et, dans une longue tirade, répond à son valet qui désapprouve sa conduite libertine auprès des femmes.


Peinture de Jean-Honoré FRAGONARD, Le Verrou (vers 1777) http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-verrou
Photographies de la mise en scène de Francis Huster (1987) avec Jacques Weber (Dom Juan) et Francis Huster (Sganarelle) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9002453f
Photographies de la mise en scène de Marcel Maréchal (1988) avec Pierre Arditi (Dom Juan) et Marcel Maréchal (Sganarelle) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9061045v.r=Dom+Juan.langFR
Photographies de la mise en scène de Jacques Lasalle (1993) avce Andrzej Seweryn (Dom Juan) et Roland Bertin (Sganarelle) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90772055.r=Dom+Juan.langFR

DON JUAN / Quoi ! tu veux qu' on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu' on renonce au monde pour lui, et qu' on n'ait plus d' yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s' ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n' est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l' avantage d' être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu' il en soit, je ne puis refuser mon coeur à tout ce que je vois d' aimable, et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l' amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais, lorsqu' on en est maître une fois, il n' y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d' un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs et présenter à notre coeur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n' est rien de si doux que de triompher de la résistance d' une belle personne, et j' ai sur ce sujet l' ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n' est rien qui puisse arrêter l' impétuosité de mes désirs : je me sens un coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu' il y eût d' autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

Molière
Dom Juan, acte I, scène 2 
1665