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Aux confins du XIX° siècle, Bel-Ami est le roman d’une ascension sociale, celle de Georges Duroy. Cet ancien sous-officier est parvenu au sommet de la société grâce au journalisme et aux femmes, révélant ainsi son opportunisme et son immoralisme.

Dans cette dernière scène, celui qui est devenu le baron Georges Du Roy se marie devant le tout Paris avec Suzanne Walter, la fille du directeur du journal « La Vie française ». Ce mariage est l’apothéose du roi Georges.


Histoire des Arts : Etude d’une bande-annonce (Adaptation cinématographique de Bel-Ami en 2012). https://youtu.be/sQExsgs0bAw Dans le parcours de Bel-Ami quel rôle ont les femmes ? Adaptation de Philippe TRIBOIT : https://www.youtube.com/watch?v=ZzCL6mg0R10&index=1&list=PLC638F9EFCEA2F5C9
Histoire des Arts : Comment se définissent les rapports homme et femme d’après le poème de John KEATS et l’œuvre picturale de Frank Bernard DICKSEE ? https://fr.wikisource.org/wiki/La_Belle_Dame_sans_Merci
Histoire des Arts : Pourquoi les relations hommes et femmes peintes par MANET ont-elles fait scandale ?

L’encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l’autel le sacrifice divin s’accomplissait ; l’Homme-Dieu, à l’appel de son prêtre, descendait sur la terre pour consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy.
Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l’avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s’adressait, il la remerciait de son succès.
Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l’interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : « Vous êtes bien aimable. »
Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les baisers qu’il lui avait donnés, qu’elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : « Quelle charmante maîtresse, tout de même. »
Elle s’approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire : « Je t’aime toujours, je suis à toi ! »
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour. Elle murmura de sa voix gracieuse :
« À bientôt, monsieur. »
Il répondit gaiement :
« À bientôt, madame. »
Et elle s’éloigna.
D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s’éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui.
Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon.
Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.

Guy Maupassant
Bel Ami , L’Excipit, Deuxième partie, Chapitre 10 (L’apothéose)
1885