Taille texte


Espace lettres


Espace mots


Espace lignes

Marivaux (1688-1763) s’est essayé au genre du roman, mais il a surtout écrit 27 comédies, jouées pour la plupart au Théâtre-Italien, dans lesquelles il analyse l’âme féminine et les surprises de l’amour, qui naît brusquement et « prend vite feu ». Son théâtre est aussi un miroir de la société qui est hiérarchisée de façon simplifiée entre maîtres et serviteurs. Dans Les Fausses Confidences, comédie en trois actes, Dorante, un jeune homme de bonne famille ruiné, est tombé amoureux d’Araminte, une riche veuve, chez qui il se présente comme intendant, chargé de gérer le domaine et les biens, recommandé par son oncle, Monsieur Remy, procureur au service de Madame Argante, mère d’Araminte. Dorante retrouve son ancien valet, Dubois, qui s’est fait engager chez Araminte et qui, par ses stratagèmes et ses « fausses confidences » auprès des différents membres de la maison, va tout mettre en œuvre pour qu’Araminte tombe amoureuse de Dorante et l’épouse à la place du prétendant que lui propose sa mère, le Comte Dorimont.

La pièce se passe chez Madame Argante. Dans la première scène, Dorante a été accueilli par Arlequin, le valet d’Araminte, et il lui a dit préférer rester seul. Entre alors Dubois « avec un air de mystère ». Cette deuxième scène fait partie de l’exposition, les informations données vont permettre au spectateur d’être à égalité de savoir avec les personnages. Dorante dialogue avec Dubois au sujet de son projet de mariage avec Araminte. Personne ne sait pour l’instant que Dorante et Dubois se connaissent : on comprend que le jeune homme a dû se séparer de son ancien valet, qui l’apprécie toujours néanmoins. Dorante lui est reconnaissant de son aide à venir, lui promettant même une récompense, mais il craint encore d’être « renvoyé demain ».


Présentation de Marivaux : https://gallica.bnf.fr/essentiels/marivaux
Mises en scène comparées : https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/oeuvre/marivaux/les-fausses-confidences.html#scenes
Film Les Fausses Confidences de Luc Bondy (2015) avec Isabelle Huppert (Araminte) et Louis Garrel (Dorante) : https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000003339/les-fausses-confidences.html
Podcast de l’émission de radio La Compagnie des auteurs consacrée à Marivaux sur France Culture (mai 2016) : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/marivaux-14-marivaux-cet-inconnu


DORANTE – Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances, et tu crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?
DUBOIS - Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n'y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l'appartement de Madame.
DORANTE - Quelle chimère !
DUBOIS - Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise.
DORANTE - Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
DUBOIS - Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.
DORANTE - Et tu me dis qu'elle est extrêmement raisonnable ?
DUBOIS - Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu'elle ne pourra se soutenir qu'en épousant ; vous m'en direz des nouvelles. Vous l'avez vue et vous l'aimez ?
DORANTE - Je l'aime avec passion, et c'est ce qui fait que je tremble !
DUBOIS - Oh ! vous m'impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! un peu de confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m'en charge, je le veux, je l'ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos actions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais l'humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu'on est ; on vous épousera, toute fière qu'on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l'amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j'entends quelqu'un, c'est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués, poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) A propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L'amour et moi, nous ferons le reste.

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux
Les Fausses Confidences , Acte I, scène 2 
1737