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Attiré très tôt par la poésie, La Fontaine décide d’en faire son métier au détriment de ses études d’avocat. Il s’inspire principalement pour les fables qu’il compose à l’intention du jeune dauphin, Louis XIV, des textes d’Esope, Phèdre et de Pilpay, qu’il enrichit de considérations sur son siècle. Son ambition est de créer une galerie de saynètes permettant d’illustrer le comportement de ses contemporains ; le genre de la fable et les allégories lui évitent la censure royale. Pourtant, la critique est partout : celle de l’Homme et du courtisan qui entretiennent vanités et ambitions mais également celle d’un monarque puissant auquel le poète n’a pas toujours eu le bonheur de plaire. Par le récit animé et la morale qui le suit, l’apologue réalise ainsi sa visée qui est de « plaire et d’instruire. » (VI, 1)

Les livres VII à XI des fables écrites par La Fontaine sont regroupés dans un second recueil que le poète présente au public dans un avertissement où il souligne qu’il a « cherché d’autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de [ses] récits » dans ce nouvel ouvrage. Il a souhaité donner « un air et un tour un peu différent » à ses fables tout en y introduisant « plus de variété ». Dans la fable 2 du livre X, le fabuliste revient sur des défauts qu’il a déjà dénoncés : la « vaine curiosité » et la vanité. Il parvient cependant à renouveler l’intérêt du lecteur par une référence inattendue et héroï-comique à Ulysse…

Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d'une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez- vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume , maint peuple , et vous profiterez
Des différentes moeurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien , dirent- ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s'étonne partout
De voir aller en cette guise
L'animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l'un et l'autre Oison.
Miracle, criait- on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
- La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d'un lignage.

Jean de La Fontaine
Fables, Livre X « La Tortue et les deux Canards »
1678