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La Fontaine a donné ses lettres de noblesse au genre très ancien de la fable. Dans l’Avertissement qui accompagne la publication de ses nouvelles fables, il précise s’être inspiré du Grec Esope (VIe siècle av. J.-C.) et du sage indien Pilpay (IIIe siècle). Il a également l’habileté d’écrire une dédicace à Madame de Montespan, favorite de Louis XIV et protectrice des hommes de lettres qui, comme lui, peuvent se montrer critique sur la société de son temps et les abus de pouvoir.

Le fabuliste met en scène, dans une histoire cruelle, des animaux représentant une sorte de cour de justice dont il fait la satire. La situation est grave, la morale finale sans appel et fort lucide sur les injustices du XVIIe siècle.


Les Essentiels Littérature de la BNF (Découvrir - Approfondir) http://gallica.bnf.fr/essentiels/fontaine/fables/animaux-malades-peste
Gustave Doré, illustrateur des Fables http://expositions.bnf.fr/orsay-gustavedore/arret/fables.htm
Estampe de Gustave Doré illustrant « Les Animaux malades de la peste » http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b103219661

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n' en voyait point d' occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n' épiaient
La douce et l'innocente proie ;
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L' histoire nous apprend qu' en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense ;
Même il m' est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur,
En les croquant beaucoup d'honneur ;
Et quant au Berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire. »
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n' osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Âne vint à son tour et dit : « J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense,
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. »
A ces mots on cria haro sur le Baudet.
Un Loup quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n' était capable
D'expier son on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine
Fables , Livre VII, 1re fable « Les Animaux malades de la peste »
1678