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Les Contemplations forment un recueil de 158 poèmes répartis en six livres et consacrés aux émotions et aux expériences du poète. La division principale tient, pour autant, à l’événement tragique qui blesse Victor Hugo, à savoir, la mort de sa fille Léopoldine. La tonalité des premiers livres est ainsi plus enjouée que la suite. Le premier livre intitulé « Aurore » est dédié aux premiers émois, qu’ils concernent l’écriture poétique ou la vie privée.

Victor Hugo relate, avec distance, un souvenir sentimental dans lequel il n’a pas le beau rôle. Il s’agit pour lui de décrire au lecteur une aventure amoureuse qui avait toutes les chances d’aboutir mais qui n’y réussit pas en raison de la maladresse du poète. Les neuf quatrains d’heptasyllabes en rimes croisées sont un hommage à Rose, cette jeune femme à la beauté de laquelle il n’a su rendre hommage en temps voulu.


Exposition consacrée au poète http://expositions.bnf.fr/hugo/expo.htm

VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS
1
Je ne songeais pas à Rose ;
 
Rose au bois vint avec moi ;
 
Nous parlions de quelque chose,
 
Mais je ne sais plus de quoi.

5
J’étais froid comme les marbres ;
 
Je marchais à pas distraits ;
 
Je parlais des fleurs, des arbres ;
 
Son œil semblait dire : Après ?

9
La rosée offrait ses perles,
 
Le taillis ses parasols ;
 
J’allais ; j’écoutais les merles,
 
Et Rose les rossignols.

13
Moi, seize ans, et l’air morose.
 
Elle vingt ; ses yeux brillaient.
 
Les rossignols chantaient Rose
 
Et les merles me sifflaient.

17
Rose, droite sur ses hanches,
 
Leva son beau bras tremblant
 
Pour prendre une mûre aux branches ;
 
Je ne vis pas son bras blanc.

21
Une eau courait, fraîche et creuse,
 
Sur les mousses de velours ;
 
Et la nature amoureuse
 
Dormait dans les grands bois sourds.

25
Rose défit sa chaussure,
 
Et mit, d’un air ingénu,
 
Son petit pied dans l’eau pure ;
 
Je ne vis pas son pied nu.

29
Je ne savais que lui dire ;
 
Je la suivais dans le bois,
 
La voyant parfois sourire
 
Et soupirer quelquefois.

33
Je ne vis qu’elle était belle
 
Qu’en sortant des grands bois sourds.
 
— Soit ; n’y pensons plus ! dit-elle.
 
Depuis, j’y pense toujours.


Victor Hugo
Les Contemplations , Livre I « Vieille chanson du jeune temps »
1856 (publication ; juin 1831 (écriture)