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Il s’agit d’un drame romantique, voire mélodramatique, en cinq actes et en vers dont l’action se situe en Espagne, tout comme Hernani et qui devrait plaire à tous, comme l’écrit V. Hugo dans sa Préface : « Trois espèces de spectateurs composent ce qu’on est convenu d’appeler le public : premièrement les femmes ; deuxièmement, les penseurs ; troisièmement la foule proprement dite. Ce que la foule demande presque exclusivement à l’œuvre dramatique, c’est de l’action ; ce que les femmes y veulent avant tout, c’est de la passion ; ce qu’y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des caractères.[…]La foule demande surtout au théâtre des sensations ; la femme des émotions ; le penseur, des méditations. Tous veulent un plaisir ; mais ceux-ci le plaisir des yeux ; celles-là, le plaisir du cœur ; les derniers le plaisir de l’esprit.»

Don Salluste de Bazan, disgracié par la reine d'Espagne, dona Maria de Neubourg, médite une vengeance. Son cousin Don César refuse d'entrer dans ses vues. Don Salluste prend des mesures pour son arrestation, puis il donne ordre à son valet, Ruy Blas, de plaire à la reine sous le nom de César. Il se trouve que Ruy Blas est secrètement amoureux de la reine. Grâce à sa clairvoyance, à son énergie, et à la protection de la reine, Ruy Blas, sous sa personnalité empruntée, devient premier ministre. Intègre, il veut sauver le royaume, et apostrophe les conseillers qui ruinent l'Espagne. La reine, délaissée par son époux et séduite par tant de grandeur et de pureté, lui avoue son amour. Don Salluste utilise cet amour pour attirer la reine dans un piège : elle se rend dans une demeure secrète et est surprise avec le faux Don César. Don Salluste lui demande de signer son abdication et lui révèle que Don César n'est autre que son valet. Révolté Ruy Blas tue le misérable…


Texte : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65112421/f173.vertical
Gravure : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405530g/f6.item.zoom

Ruy Blas fait quelques pas en chancelant vers la reine immobile et glacée, puis il tombe à deux genoux, l'œil fixé à terre, comme s'il n'osait lever les yeux jusqu'à elle.

RUY BLAS, d'une voix grave et basse.
Maintenant, madame, il faut que je vous dise.
– Je n'approcherai pas. – Je parle avec franchise.
Je ne suis point coupable autant que vous croyez.
Je sens, ma trahison, comme vous la voyez,
Doit vous paraître horrible. Oh ! Ce n'est pas facile
À raconter. Pourtant je n'ai pas l'âme vile,
Je suis honnête au fond. – Cet amour m'a perdu. –
Je ne me défends pas ; je sais bien, j'aurais dû
Trouver quelque moyen. La faute est consommée !
– C' est égal, voyez-vous, je vous ai bien aimée.

LA REINE.
Monsieur...

RUY BLAS, toujours à genoux.
N' ayez pas peur. Je n'approcherai point.
À votre majesté je vais de point en point
Tout dire. Oh ! Croyez-moi, je n' ai pas l'âme vile ! –
Aujourd'hui tout le jour j' ai couru par la ville
Comme un fou. Bien souvent même on m'a regardé.
Auprès de l'hôpital que vous avez fondé,
J'ai senti vaguement, à travers mon délire,
Une femme du peuple essuyer sans rien dire
Les gouttes de sueur qui tombaient de mon front.
Ayez pitié de moi, mon dieu ! Mon cœur se rompt !

LA REINE.
Que voulez-vous ?

RUY BLAS, joignant les mains.
Que vous me pardonniez, madame !

LA REINE.
Jamais.

RUY BLAS.
Jamais !
(Il se lève et marche lentement vers la table.)
Bien sûr ?

LA REINE.
Non, jamais !

RUY BLAS.
(Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la vide d' un trait.)
Triste flamme,
Eteins-toi !

LA REINE, se levant et courant à lui.
Que fait-il ?

RUY BLAS, posant la fiole.
Rien. Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Voilà tout.

LA REINE, éperdue.
Don César !

RUY BLAS.
Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m'avez aimé !

LA REINE.
Quel est ce philtre étrange ?
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! Réponds-moi ! Parle-moi !
César ! Je te pardonne et t'aime, et je te crois !

RUY BLAS.
Je m'appelle Ruy Blas.

LA REINE, l'entourant de ses bras.
Ruy Blas, je vous pardonne !
Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te l'ordonne
Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur ?
Dis ?

RUY BLAS.
Si ! C'est du poison. Mais j'ai la joie au cœur.
(Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel.)
Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine,
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé mon cœur crucifié,
Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié !

LA REINE.
Du poison ! Dieu ! C'est moi qui l'ai tué ! – Je t'aime !
Si j'avais pardonné ? ...

RUY BLAS, défaillant.
J'aurais agi de même.
(Sa voix s'éteint. La reine le soutient dans ses bras.)
Je ne pouvais plus vivre. Adieu !
(Montrant la porte.)
Fuyez d'ici !
– Tout restera secret. – Je meurs.
(Il tombe.)

LA REINE, se jetant sur son corps.
Ruy Blas !

RUY BLAS, qui allait mourir, se réveille à son nom prononcé par la reine.
Merci !

Victor Hugo
Ruy Blas, acte V, scène 4 
1838