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La pièce est composée de neuf scènes en vers libres, elle reprend la figure de Médée, personnage issu de la mythologie grecque, qui après avoir été abandonnée par Jason pour Créuse, s’est rendu coupable de tuer ses deux enfants Phérès et Merméros en guise de vengeance. Sa rivale succombe également à sa colère. Laurent Gaudé décide de réécrire ce mythe en associant Médée à deux autres grandes figures : Méduse et la déesse hindoue de la préservation et de la destruction, Kali.

Médée est revenue là où ses enfants ont été enterrés, en terre grecque et selon leurs rites funéraires, dans le but de les exhumer et ainsi de parachever sa vengeance. Cette quatrième scène la voit creuser de ses propres mains la terre qui recouvre ses fils, tout en se remémorant ses actes et en annonçant son projet. La voix des enfants ouvre le passage. Médée Kali est seule sur scène.


Laurent Gaudé parle de Médée Kali : http://classiquesetcontemporains.com/interviews/laurent-gaude-parle-de-medee-kali
Présentation de la pièce : https://www.theatre-contemporain.net/video/Medee-Kali-de-Laurent-Gaude-par-la-CompagnieKamma

Elle va, elle vient. Le sol résonne de son pas. Elle gratte le marbre de ses ongles. La terre est moins lourde sur nos corps depuis qu’elle est là. Notre mère est revenue. Elle prend la terre à pleines mains. Elle est là, et nous tend les bras. Tu frissonnes comme moi, tes mâchoires claquent, comme les miennes, tu voudrais, comme moi, creuser plus profond pour que notre mère ne nous attrape pas.
MÉDÉE KALI. J’ai fait un bûcher.
Je disposerai vos corps à son sommet.
Il se consumera doucement, emmenant dans sa fumée le souvenir de vos vies ;
Médée va brûler la Grèce et ses enfants.
Médée va brûler Jason et sa trahison.
Je ne laisse rien derrière moi,
Ni tombeau ni larme.
Médée brûle la mère.
Médée brûle l’amante et son amant.
Je mets le feu à ce que fut ma vie.
Les premières bûches crépitent.
Le feu a pris, les flammes grandissent.
Elles lèchent le bûcher comme j’ai léché moi-même vos corps du temps où j’étais louve.
La chaleur du bûcher réchauffe ma peau.
La sueur coule le long de mes tempes et il me vient l’envie de danser,
Comme j’ai dansé – plusieurs semaines durant – après vous avoir tués.
Ce jour-là, je me souviens, j’ai lâché le couteau,
J’ai laissé glisser vos corps à mes pieds
Et je vous ai abandonnés derrière moi, sans même vous recouvrir d’un drap.
Jason accourait,
Nos regards se sont croisés,
Il m’a vue,
La main serrée sur le couteau,
Il m’a vue,
Un sourire aux lèvres
Et il n’a plus bougé.
Il s’est arrêté de vivre,
Les yeux écarquillés sur le sang qui coulait, goutte à goutte, de mes mains.

Laurent Gaudé
Médée Kali, Scène IV. (Le bûcher)
2003