La Vie devant soi paraît en 1975 sous le nom d’Émile Ajar et obtient le prix Goncourt qui récompense le meilleur roman de l'année. Ce n'est que quelques mois après la mort de Romain Gary, qui s'est suicidé le 2 décembre 1980, que l'on apprend qu'il est l'auteur qui s'est caché derrière le pseudonyme d’Émile Ajar. Or il avait déjà obtenu le prix Goncourt en 1956 pour Les Racines du ciel, ce qui s'est révélé une immense supercherie car aucun écrivain ne peut obtenir deux fois le prestigieux prix. Dans ce roman écrit à la première personne, dans une langue très originale, le héros est Momo, un garçon musulman, un enfant d'une dizaine d'années, livré à lui-même. Il vit chez Madame Rosa, une vieille juive qui recueille des enfants de prostituées, faisant de son petit appartement de Belleville, une sorte de pension clandestine.
Je lui ai vendu Super pour cinq cents francs et il faisait vraiment une affaire. J'ai demandé cinq cents francs à la bonne femme parce que je voulais être sûr qu'elle avait les moyens. Je suis bien tombé, elle avait même une voiture avec chauffeur et elle a tout de suite mis Super dedans, au cas où j'aurais des parents qui allaient gueuler. Alors maintenant je vais vous dire, parce que vous n'allez pas me croire. J'ai pris les cinq cents francs, et je les ai foutus dans une bouche d’égout. Après je me suis assis sur un trottoir et j'ai chialé comme un veau avec les poings dans les yeux mais j'étais heureux. Chez Madame Rosa il y avait pas la sécurité et on ne tenait tous qu'à un fil, avec la vieille malade, sans argent et avec l'Assistance publique sur nos têtes et c'était pas une vie pour un chien.