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Le genre du traité apparaît au XVIe s, au moment où l’humanisme cherche à définir ce que serait l’homme idéal. Il fait, d’une certaine manière, concurrence aux manuels, dans la mesure où, pour améliorer l’individu, il donne des conseils de mise en œuvre pratiques. Mais sa caractéristique principale est de développer d’une manière assez libre une thèse sur des sujets divers qu’il présente comme une vérité. Le classicisme utilise cette forme littéraire car il y voit lui aussi l’occasion d’y présenter son programme qui consiste en l’édification de l’honnête homme.

C’est en tant que pédagogue averti, puisqu’il sera entre autres choses chargé de gouverner le Duc de Bourgogne, que Fénelon donne dans cet ouvrage ses vues sur une bonne éducation qui doit être entreprise, selon lui, dès le plus jeune âge. Mais dans les deux premiers chapitres, son attention se porte surtout sur la différence de traitement qui existe entre garçons et filles et qui lui semble non seulement injuste mais préjudiciable. Il faut dire qu’il rédige ce traité sur l’instigation du Duc et de la Duchesse de Beauvillers qui avaient de nombreux enfants et en particulier huit filles à élever. Il y montre sa ferme opposition aux préjugés de son temps. Il fait en effet la démonstration de la nécessité de l’instruction des jeunes filles qui doivent trouver par là un moyen d’assurer leur défense dans la société et d’assumer leurs obligations futures. Le premier chapitre impose sa thèse tandis que le second l’illustre en faisant le tableau dissuasif de la jeune fille ignorante.


Texte : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5496987b/f23.vertical
Introduction : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2205585/f459.double.r=%C3%A9ducation%20f%C3%A9nelon

Rien n'est plus négligé que l'éducation des filles. La coutume et le caprice des mères y décident souvent de tout : on suppose qu'on doit donner à ce sexe peu d'instruction. L'éducation des garçons passe pour une des principales affaires par rapport au bien public ; et quoiqu'on n'y fasse guère moins de fautes que dans celle des filles, du moins on est persuadé qu'il faut beaucoup de lumières pour y réussir. Les plus habiles gens se sont appliqués à donner des règles dans cette matière. Combien voit-on de maîtres et de collèges ! combien de dépenses pour des impressions de livres, pour des recherches de sciences, pour des méthodes d'apprendre les langues, pour le choix des professeurs ! Tous ces grands préparatifs ont souvent plus d'apparence que de solidité; mais enfin ils marquent la haute idée qu'on a de l'éducation des garçons. Pour les filles, dit-on, il ne faut pas qu'elles soient savantes, la curiosité les rend vaines et précieuses ; il suffit qu'elles sachent gouverner un jour leurs ménages, et obéir à leurs maris sans raisonner. On ne manque pas de se servir de l'expérience qu'on a de beaucoup de femmes que la science a rendues ridicules : après quoi on se croit en droit d'abandonner aveuglément les filles à la conduite des mères ignorantes et indiscrètes.
Il est vrai qu'il faut craindre de faire des savantes ridicules. Les femmes ont d'ordinaire l'esprit encore plus faible et plus curieux que les hommes ; aussi n'est-il point à propos de les engager dans des études dont elles pourraient s'entêter. Elles ne doivent ni gouverner l'Etat, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées ; ainsi elles peuvent se passer de certaines connaissances étendues, qui appartiennent à la politique, à l'art militaire, à la jurisprudence , à la philosophie et à la théologie. La plupart même des arts mécaniques ne leur conviennent pas : elles sont faites pour des exercices modérés. Leur corps aussi bien que leur esprit, est moins fort et moins robuste que celui des hommes ; en revanche, la nature leur a donné en partage l'industrie , la propreté et l'économie, pour les occuper tranquillement dans leurs maisons.
Mais que s'ensuit-il de la faiblesse naturelle des femmes ? Plus elles sont faibles, plus il est important de les fortifier. N'ont-elles pas des devoirs à remplir, mais des devoirs qui sont les fondements de toute la vie humaine ? Ne sont-ce pas les femmes qui ruinent ou qui soutiennent les maisons, qui règlent tout le détail des choses domestiques, et qui, par conséquent, décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain ? Par là, elles ont la principale part aux bonnes ou aux mauvaises moeurs de presque tout le monde. Une femme judicieuse, appliquée, et pleine de religion, est l'âme de toute une grande maison ; elle y met l'ordre pour les biens temporels et pour le salut. Les hommes mêmes, qui ont toute l'autorité en public, ne peuvent par leurs délibérations établir aucun bien effectif, si les femmes ne les aident à l'exécuter.
Le monde n'est point un fantôme ; c'est l'assemblage de toutes les familles : et qui est-ce qui peut les policer avec un soin plus exact que les femmes, qui, outre leur autorité naturelle et leur assiduité dans leur maison, ont encore l'avantage d'être nées soigneuses, attentives au détail, industrieuses, insinuantes et persuasives ? Mais les hommes peuvent-ils espérer pour eux-mêmes quelque douceur dans la vie, si leur plus étroite société, qui est celle du mariage, se tourne en amertume ? Mais les enfants, qui feront dans la suite tout le genre humain, que deviendront-ils, si les mères les gâtent dès leurs premières années ?

Fénelon
De l’éducation des filles, Chapitre Ier « De l'importance de l'éducation des filles »
1687