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Les Tragiques (1616) sont une œuvre poétique qui a été écrite par Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630). L’auteur y évoque les guerres de religion qui se sont déroulées de 1562 à 1593 sous les règnes de Charles IX, Henri III et Henri IV. Longtemps proche du futur roi Henri IV, d’Aubigné est particulièrement sensible à la violence et au chaos qui accompagnent les différends religieux de son temps. En 1598, l’Edit de Nantes met officiellement fin aux guerres de religion, mais les troubles se prolongeront dans le courant du XVIIème siècle. Ces guerres entraînent des massacres, des tortures, des pillages qui ensanglantent et ruinent le pays. Dans Les Tragiques, d’Aubigné évoque le désordre du monde livré à la folie humaine, auquel s’oppose l’ordre que restaurera Dieu à l’heure du Jugement dernier. Il déplore la cruauté et l’aveuglement des hommes de son temps. Sa vision du monde est beaucoup moins optimiste que celle des humanistes de la première moitié du XVIème siècle.

Le premier livre des Tragiques a pour titre « Misères ». Agrippa d’Aubigné y peint une France déchirée et détruite par les guerres civiles. Le poète souligne l’appartenance des différents partis à la même patrie et insiste sur le caractère fratricide des guerres de religion.


http://www.cnrtl.fr/lexicographie/allégorie : définition de l’allégorie
http://www.museehistoiredefrance.fr/index.php?option=com_epoque&view=details&eid=9 : contexte historique des guerres de Religion - Renaissance
http://www.museehistoiredefrance.fr/index.php?option=com_epoque&view=details&eid=26 : guerres de Religion sous Henri IV – 2 tableaux à observer

Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée .
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups
D' ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont la nature donnait à son besson l'usage ;
Ce voleur acharné, cet Esau malheureux ?
Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il méprise la sienne et n'en a plus d' envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui,
Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste colère
Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.
Leur conflit se rallume et fait si furieux
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle voit les mutins, tout déchirés, sanglants,
Qui, ainsi que du cuir, des mains se vont cherchant.
Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las
Viole, en son poursuivant, l'asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;
Puis, aux derniers abois de sa propre ruine,
Elle dit :« Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture ! »

Agrippa D'Aubigné
Les Tragiques, livre I « Misères »
1616