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Pierre Corneille écrit Horace après la querelle du Cid qui lui a valu d'être accusé de mal écrire, d'ignorer les règles ; après trois ans de silence, il revient sur le devant de la scène avec une tragédie romaine et politique, obéissant aux règles. L'intrigue repose sur le conflit qui oppose Albe et Rome au VIIè siècle avant J.-C. et la légende racontée par l'historien Tite-Live. Pour éviter une guerre qui déchirerait les deux cités, chaque roi désigne trois combattants, les plus valeureux, pour décider de la victoire. Ce sont les trois frères Horace – Romains – et les trois frères Curiace – Albains – qui doivent s’affronter. Or ils sont unis par des liens familiaux : Sabine, épouse d’Horace, est sœur des Curiace ; quant à Camille, sœur d’Horace, elle est l’amante de Curiace.

Corneille n’a d’abord livré qu’un récit incomplet du combat à la fin de l’acte III. Le vieil Horace pense alors que son fils a fui après la mort de ses deux frères ; et à la question « Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? », il a répondu un terrible « Qu’il mourût ». Au début de l’acte IV, Valère, chevalier romain, vient faire la seconde moitié du récit à ce père désespéré et en présence de Camille, amante d'un Curiace ; il révèle la victoire de Horace, et par là-même la mort des trois Curiace.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200072t : illustration pour la tragédie, le vieil Horace
http://classes.bnf.fr/heros/arret/02_1.htm : le héros antique
http://classes.bnf.fr/heros/arret/02_3.htm : le héros classique
Peinture de Jacques-Louis DAVID, Le Serment des Horaces (1784)http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-serment-des-horaces


Le vieil Horace Quoi, Rome donc triomphe !

Valère Apprenez, apprenez
La valeur de ce fils qu’à tort vous condamnez.
Resté seul contre trois, mais en cette aventure
Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d’eux,
Il sait bien se tirer d’un pas si dangereux ;
Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Divise adroitement trois frères qu’elle abuse.
Chacun le suit d’un pas ou plus ou moins pressé,
Selon qu’il se rencontre ou plus ou moins blessé ;
Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite ;
Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.
Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,
Se retourne, et déjà les croit demi-domptés :
Il attend le premier, et c’était votre gendre.
L’autre, tout indigné qu’il ait osé l’attendre,
En vain en l’attaquant fait paraître un grand cœur ;
Le sang qu’il a perdu ralentit sa vigueur.
Albe à son tour commence à craindre un sort contraire ;
Elle crie au second qu’il secoure son frère :
Il se hâte et s’épuise en efforts superflus ;
Il trouve en les joignant que son frère n’est plus.

Camille Hélas !

Valère Tout hors d’haleine il prend pourtant sa place,
Et redouble bientôt la victoire d’Horace :
Son courage sans force est un débile appui ;
Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui.
L’air résonne des cris qu’au ciel chacun envoie ;
Albe en jette d’angoisse, et les Romains de joie.
Comme notre héros se voit près d’achever,
C’est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver :
« J’en viens d’immoler deux aux mânes de mes frères ;
Rome aura le dernier de mes trois adversaires,
C’est à ses intérêts que je vais l’immoler, »
Dit-il ; et tout d’un temps on le voit y voler.
La victoire entre eux deux n’était pas incertaine ;
L’Albain percé de coups ne se traînait qu’à peine,
Et comme une victime aux marches de l’autel,
Il semblait présenter sa gorge au coup mortel :
Aussi le reçoit-il, peu s’en faut, sans défense,
Et son trépas de Rome établit la puissance.

Pierre Corneille
Horace , Acte IV, scène 2, vers 1101-1140 (le récit de Valère)
1640