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En 1782 paraît le roman Les Liaisons dangereuses, écrit par Pierre Choderlos de Laclos, un officier d'artillerie inconnu jusqu'alors. Il est constitué de lettres qu'échangent deux aristocrates très libres dans leurs mœurs, autrefois amants, le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil, avec leurs victimes ; ces deux libertins sont désormais complices et se racontent leurs différentes stratégies de séduction auprès de personnages innocents dont ils se jouent comme des marionnettes. Le lecteur a donc un statut privilégié dans le roman épistolaire puisqu'il est le seul à tout savoir, et il assiste à l'accomplissement de leurs machinations infernales pour assouvir désirs et vengeances. L’œuvre jugée immorale obtient un succès immédiat et fait scandale ; or dans sa préface, l'auteur affirme que « pour prévenir contre le vice, il faut le peindre ».

Valmont vient de faire de Madame de Tourvel sa maîtresse ; il est venu à bout de sa résistance et de ses principes d'épouse fidèle, attachée au sacrement du mariage. Madame de Merteuil le pousse à la quitter, en lui envoyant un modèle de lettre de rupture qu'elle présente en ces termes : « Un homme de ma connaissance s’était empêtré, comme vous, d’une femme qui lui faisait peu d’honneur. Il avait bien, par intervalles, le bon esprit de sentir que, tôt ou tard, cette aventure lui ferait du tort : mais quoiqu’il en rougît, il n’avait pas le courage de rompre. Son embarras était d’autant plus grand qu’il s’était vanté à ses amis d’être entièrement libre ; et qu’il n’ignorait pas que le ridicule qu’on a augmente toujours en proportion qu’on s’en défend. Il passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises, et ne cessant de dire après : Ce n’est pas ma faute. Cet homme avait une amie qui fut tentée de le livrer au Public en cet état d’ivresse, et de rendre ainsi son ridicule ineffaçable; mais pourtant, plus généreuse que maligne, ou peut-être encore par quelque autre motif, elle voulut tenter un dernier moyen, pour être, à tout événement, dans le cas de dire comme son ami : Ce n’est pas ma faute. Elle lui fit donc parvenir sans aucun autre avis la Lettre qui suit, comme un remède dont l’usage pourrait être utile à son mal. » Valmont tombera dans le piège et enverra cette brève lettre à Madame de Tourvel, qui en mourra.


Le Verrou de Fragonard http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-verrou

« On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une Loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute.
Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.
Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.
Il suit de là, que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.
Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la Nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j’ai fait une autre Maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute.
Adieu, mon Ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. »

Pierre Choderlos de Laclos
Les Liaisons dangereuses, Quatrième partie, lettre CXLI (« Ce n'est pas ma faute. »)
1782