Taille texte


Espace lettres


Espace mots


Espace lignes

Aimé Césaire (1913-2008) est un poète et homme politique français de la Martinique. Il est l’un des fondateurs du mouvement littéraire de la négritude et il s’est battu toute sa vie contre le colonialisme. Il s’oppose au système colonial français qui tente d’imposer aux peuples colonisés une culture qui n’est pas la leur sous prétexte d’assimilation culturelle. Il défend la composante africaine qui constitue une partie des origines et de la culture des martiniquais. Dans son Discours sur le colonialisme qui date de 1950, il dénonce la déshumanisation des peuples colonisés, leur humiliation et leur oppression. Il va jusqu’à souligner la ressemblance d’une telle démarche avec celle d’Hitler et du nazisme. L’activité littéraire de Césaire s’inscrit dans la pratique d’un humanisme concret. Le poète cherche avant tout à défendre tous les opprimés et se déclare lui-même « de la race de ceux qu’on opprime ».

Publié pour la première fois en 1950, ce pamphlet anticolonialiste oppose « colonisateur » et « colonisé ». Les injustices et les inégalités que s’autorisaient les colonisateurs se trouvent ici pointées du doigt avec force et sans la moindre ambiguïté.


http://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/VoyagesEnAfrique/themes/Fr1.htm : l’Europe découvre l’Afrique – l’esclavage
http://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/VoyagesEnAfrique/themes/Fr3.htm : histoire coloniale : la France en Afrique

Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des masses décérébrées, des masses avilies.
Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourne, en chicote et l'homme indigène en instrument de production.
À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.
J'entends la tempête. On parle de progrès, de réalisations, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.
Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.
Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan.
Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vigne plantés.
Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de matières premières.

Aimé Césaire
Discours sur le colonialisme, « Incipit » 
1950