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Caligula est une tragédie moderne, écrite en 1939 et jouée pour la première fois en 1945. Elle appartient au « cycle de l’absurde » au même titre que L’Etranger. Albert Camus choisit de représenter Caligula qui régna sur l’empire romain de 37 à 41. Durant la pièce, le spectateur assiste à la montée en puissance de ce personnage qui, après la mort de sa sœur et maîtresse Drusilla, va devenir un tyran absolu et sanguinaire en quête de l’impossible.

Caligula est accompagné d’Hélicon, un ancien esclave qu’il a affranchi. Les premières scènes de la pièce sont consacrées à des échanges entre patriciens (classe sociale élevée chez les Romains), inquiets de la disparition depuis trois jours de leur empereur, après la mort de sa sœur Drusilla avec laquelle il entretenait des relations incestueuses. La scène 4 est celle de son retour et de sa première apparition pour les spectateurs. La didascalie précédente donne les informations suivantes : « il a l’air égaré, il est sale, il a les cheveux pleins d’eau et les jambes souillées. » Hélicon, son fidèle serviteur, a entamé le dialogue avec lui.


Albert Camus : https://data.bnf.fr/fr/11894985/albert_camus/
Affiche du spectacle : http://classes.bnf.fr/livre/grand/1103.htm
Autour de la pièce : https://data.bnf.fr/fr/12327937/albert_camus_caligula/
Charles Berling parle de la pièce : https://www.ina.fr/video/I09191355/interview-actualite-theatre-charles-berling-video.html
Présentation de la mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Caligula/


CALIGULA. Tu penses que je suis fou.
HÉLICON. Tu sais bien que je ne pense jamais. Je suis bien trop intelligent pour ça.
CALIGULA. Oui. Enfin ! Mais je ne suis pas fou et même je n'ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d'un coup un besoin d'impossible. (Un temps.) Les choses, telles qu'elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes.
HÉLICON. C'est une opinion assez répandue.
CALIGULA. II est vrai. Mais je ne le savais pas auparavant. Maintenant, je sais. (Toujours naturel.) Ce monde, tel qu'il est fait, n'est pas supportable. J'ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l'immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde.
HÉLICON. C'est un raisonnement qui se tient. Mais, en général, on ne peut pas le tenir jusqu'au bout.
CALIGULA, se levant, mais avec la même simplicité. Tu n'en sais rien. C'est parce qu'on ne le tient jamais jusqu'au bout que rien n'est obtenu. Mais il suffit peut-être de rester logique jusqu'à la fin. Il regarde Hélicon.
Je sais aussi ce que tu penses. Que d'histoires pour la mort d'une femme ! Non, ce n'est pas cela. Je crois me souvenir, il est vrai, qu'il y a quelques jours, une femme que j'aimais est morte. Mais qu'est-ce que l'amour ? Peu de chose. Cette mort n'est rien, je te le jure ; elle est seulement le signe d'une vérité qui me rend la lune nécessaire. C'est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter.

HÉLICON. Et qu'est-ce donc que cette vérité, Caïus ?
CALIGULA, détourné, sur un ton neutre. Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux.
HÉLICON, après un temps. Allons, Caïus, c'est une vérité dont on s'arrange très bien. Regarde autour de toi. Ce n'est pas cela qui les empêche de déjeuner.
CALIGULA, avec un éclat soudain. Alors, c'est que tout, autour de moi, est mensonge, et moi, je veux qu'on vive dans la vérité ! Et justement, j'ai les moyens de les faire vivre dans la vérité. Car je sais ce qui leur manque, Hélicon. Ils sont privés de la connaissance et il leur manque un professeur qui sache ce dont il parle.

Albert Camus
Caligula , Acte I, scène 4 (« Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux. »)
1945