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Pièce répartie en deux actes, paraissant dans un premier temps en anglais en 1961 puis représentée en France en 1963, Oh les beaux jours met en scène un couple : Winnie, âgée d’une cinquantaine d’années, et Willie âgé quant à lui d’une soixantaine d’années. Comme souvent chez Beckett, ces deux personnages entretiennent une relation d’interdépendance singulière : si Winnie est à moitié enterrée, elle symbolise cependant le courage et la détermination face à la vie, tandis que Willie, mobile, recourt à un pessimisme systématique. Beckett livre une pièce traitant de la condition humaine et du sens de la vie, où se mêlent malicieusement comique et tragique.

La scène prépare la fin de l’acte I : le spectateur y voit Willie regagner péniblement son trou derrière le mamelon occupé par Winnie. Cette dernière, enchantée par le semblant de dialogue entretenu peu avant, ainsi que par la proximité spatiale momentanée de Winnie se lance dans une tirade.


Educ’Arte : https://educ.arte.tv/program/beckett-by-brook Création d’une pièce à partir de cinq écrits de Beckett
INA : https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01330/le-theatre-de-l-absurde.html Ionesco parle de l’absurde et de sa différence avec Beckett
INA : https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu05422/samuel-beckett-prix-nobel-de-litterature.html Beckett présenté par son éditeur


WINNIE. — (Voix normale, d’une traite.) Dieu te bénisse Willie de ta bonté je sais l’effort que ça te coûte, repose-toi à présent détends-toi je ne t’embêterai plus à moins d’y être acculée, je veux dire à moins d’épuiser mes propres possibilités ce qui est peu probable, simplement te savoir là à même de m’entendre même si en fait tu ne le fais pas c’est tout ce qu’il me faut, simplement te sentir là à portée de voix et sait-on jamais sur le qui-vive c’est tout ce que je demande, ne rien dire pas fait pour tes oreilles ou susceptible de te causer de la peine, ne pas être là en train d’émettre à crédit pour ainsi dire sans savoir et un ver qui me ronge. (Un temps. Elle reprend son souffle.) Le doute. (Elle pose l’index et le majeur sur la région du cœur, cherche l’endroit, le trouve.) Là. (Elle déplace légèrement les doigts.) Environ. (Elle écarte la main.) Oh sans doute des temps viendront où je ne pourrai ajouter un mot sans l’assurance que tu as entendu le dernier et puis d’autres sans doute d’autres temps où je devrai apprendre à parler toute seule chose que je n’ai jamais pu supporter un tel désert. (Un temps.) Ou regarder droit devant moi, les lèvres rentrées. (Elle le fait.) A longueur de journée. (Regard fixe, lèvres rentrées.) Non. (Sourire.) Non non. (Fin du sourire.) Il y a le sac bien sûr. (Elle se tourne vers le sac.) Il y aura toujours le sac. (Elle revient de face.) Oui, je suppose. (Un temps.) Même quand tu seras parti, Willie. (Elle se tourne un peu vers lui.) Tu pars, Willie, n’est-ce pas ? (Un temps. Se tournant un peu plus vers lui, plus fort.) Tu vas bientôt partir, Willie, n’est-ce pas ? (Un temps. Plus fort.) Willie ! (Un temps. Elle se renverse en arrière et à sa droite pour le regarder.) Tiens, tu as enlevé ton paille, voilà qui est avisé. (Un temps.) Peux-tu me voir de là, je me le demande, je me le demande toujours. (Un temps.) Non ? (Elle revient de face.) Oh je sais bien, il ne s’ensuit pas forcément, lorsque deux êtres sont ensemble — (la voix se brise) — de cette façon — (voix normale) — parce que l’un voit l’autre que l’autre voit l’un, la vie m’a appris ça… aussi. (Un temps.) Oui, la vie, je suppose, il n’est pas d’autre vocable. (Elle se tourne un peu vers lui.) Tu pourrais me voir, Willie, tu crois, d’où tu es, si tu levais les yeux vers moi ? (Elle se tourne un peu plus.) Lève les yeux jusqu’à moi, Willie, et dis si tu peux me voir, fais ça pour moi, je me renverse tout ce que je peux. (Elle le fait. Un temps.) Non ? (Un temps.) Tu ne veux pas faire ça pour moi ? (Un temps.) Enfin ça ne fait rien. (Elle revient péniblement de face.) La terre est juste aujourd’hui, pourvu que je ne me sois pas empâtée. (Un temps. Distraitement, yeux baissés.) La grande chaleur sans doute. (Elle se met à tapoter et à caresser la terre.) Toutes choses en train de se dilater. (Un temps. Tout en tapotant et caressant.) Les unes davantage. (Un temps. De même.) Les autres moins. [ …]

Samuel Beckett
Oh les beaux jours, Acte I (Tirade/Soliloque Winnie)
Première représentation en 1961, parution française en 1963.