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Pièce répartie en deux actes, paraissant dans un premier temps en anglais en 1961 puis représentée en France en 1963, Oh les beaux jours met en scène un couple : Winnie, âgée d’une cinquantaine d’années, et Willie âgé quant à lui d’une soixantaine d’années. Ces deux personnages entretiennent une relation d’interdépendance singulière : si Winnie est à moitié enterrée, elle symbolise cependant le courage et la détermination face à la vie, tandis que Willie, mobile, recourt à un pessimisme systématique. Beckett livre une pièce traitant de la condition humaine et du sens de la vie, où se mêlent malicieusement comique et tragique.

Le déséquilibre quant à la répartition de la parole constaté dans le premier acte s’amplifie dans le second : les mots de Winnie se propagent, se diffusent abondamment sans nulle réaction de Willie. La tirade prend place à la toute fin de la pièce, propose au spectateur une situation toujours plus déstabilisante. La gestuelle de l’un et la parole de l’autre tentent d’établir une communication bancale et de maintenir un lien fragilisé.


Lien vers une retranscription auditive de la pièce : https://www.youtube.com/watch?v=dJz0nOErcgM, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault 1964


WINNIE.(Mondaine.) Ça par exemple ! Voilà un plaisir auquel je ne m’attendais guère. (Un temps.) Ça me rappelle le printemps où tu venais me geindre ton amour. (Un temps.) Winnie, sois à moi, je t’adore ! (Il lève les yeux vers elle.) La vie une dérision sans Win ! (Elle éclate de rire.) Quel épouvantail, parler de chie-en-lit ! (Elle rit.) Où sont les fleurs ? (Un temps.) D’un jour. (Willie baisse la tête.) Qu’est-ce que tu as au cou ? Un anthrax ? (Un temps.) Faut surveiller ça, Willie, avant d’être envahi. (Un temps.) Où est-ce que tu étais tout ce temps ? (Un temps.) Qu’est-ce que tu faisais tout ce temps ? (Un temps.) Ta toilette ? (Un temps.) Tu ne m’as pas entendu crier ? (Un temps.) Tu t’étais coincé dans ton trou ? (Il lève les yeux vers elle.) C’est ça, Willie, regarde-moi. (Un temps.) Repais tes vieux yeux, Willie. (Un temps.) Il en reste quelque chose ? (Un temps.) Quelques restes ? (Un temps.) Je n’ai pas pu refaire ma beauté, tu sais. (Il baisse la tête.) Toi tu es encore reconnaissable, en un sens. (Un temps.) Tu penses venir vivre de ce côté maintenant… une petite saison peut-être ? (Un temps.) Non ? (Un temps.) Tu ne faisais que passer ? (Un temps.) Tu es devenu sourd, Willie ? (Un temps.) Muet ? (Un temps.) Oh je sais, tu n’as jamais été causant, Winnie sois à moi je t’adore et finie fleurette, la parole est aux offres et demandes. (Yeux de face.) Enfin quelle importance, ça aura été quand même un beau jour, après tout, encore un. (Un temps.) Plus pour longtemps, Winnie. (Un temps.) J’entends des cris. (Un temps.) Ça t’arrive, Willie, d’entendre des cris ? (Un temps.) Non ? (Yeux à droite sur Willie.) Regarde-moi encore, Willie. (Un temps.) Encore une fois, Willie. (Il lève les yeux vers elle. Heureuse.) Ah ! (Un temps. Choquée.) Qu’est-ce que tu as, jamais vu une tête pareille ! (Un temps.) Couvre-toi, chéri, c’est le soleil, pas de chichis, je permets. (Il lâche chapeau et gants et commence à grimper vers elle. Joyeuse.) Oh mais dis donc, c’est fantastique ! (Il s’immobilise, une main s’agrippant au mamelon, l’autre jetée en avant.) Allons, mon cœur, du nerf, vas-y, je t’applaudirai. (Un temps.) C’est moi que tu vises, Willie, ou c’est autre chose ? (Un temps.) Tu voulais me toucher… le visage… encore une fois ? (Un temps.) C’est un baiser que tu vises, Willie, ou c’est autre chose ? (Un temps.) Il fut une époque où j’aurais pu te donner un coup de main. (Un temps.) Et une autre, avant, où je te donnais un coup de main. (Un temps.) Tu avais toujours bougrement besoin d’un coup de main. (Il lâche prise, dégringole en bas du mamelon.) Brrroum ! (Il se remet à quatre pattes, lève les yeux vers elle.) Essaie encore une fois, Willie, je t’acclamerai. (Un temps.) Ne me regarde pas comme ça. (Un temps. Véhémente.) Ne me regarde pas comme ça ! (Un temps. Bas.) As-tu perdu la raison, Willie ? (Un temps. De même.) Tes pauvres vieux restes de raison ? (Un temps.)

Samuel Beckett
Oh les beaux jours, Fin de l’acte II Scène finale
Première représentation en 1961, parution française en 1963.