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Le Mariage de Figaro est une comédie qui fait suite au Barbier de Séville, première pièce à succès de Beaumarchais jouée en 1775. Dans Le Mariage de Figaro Beaumarchais développe une réflexion audacieuse sur l’ordre social de l’époque et sur le mérite qu’il oppose à la naissance. Le censeur refuse d’autoriser la pièce en 1781 et le roi lui-même, Louis XVI, juge ce « badinage » dangereux. Beaumarchais retouche sa pièce et réclame d’autres censeurs. Il lui faudra trois ans pour obtenir l’autorisation de représenter sa pièce en public. Malgré cette autorisation officielle, certains continuent à attaquer Beaumarchais à travers des pamphlets et des épigrammes provocants auxquels l’auteur répond avec esprit… Ce n’est pas du goût du roi qui accuse le dramaturge de se montrer insultant à son égard dans certaines de ses réponses. Arrêté le 7 mars 1785, Beaumarchais est enfermé dans une maison de correction doublée d’un asile d’aliénés. L’opinion publique s’élève contre cette mesure et l’autorité du roi vacille. On comprend que cette pièce ait pu être considérée comme un texte précurseur de la Révolution française.

Malgré son mariage avec Rosine, le comte Almaviva, libertin mais jaloux, convoite Suzanne, camériste de la comtesse avant qu’elle n’épouse Figaro, entré à son service. Chérubin, jeune page charmant et précoce, est amoureux de sa marraine, la comtesse. Acte I, sc 7, il a d’ailleurs volé à Suzanne le ruban de nuit de Rosine. Il était venu lui expliquer qu’il était renvoyé par le comte à cause de son comportement auprès de la jeune Fanchette, la fille du jardinier. Le comte l’ayant de plus trouvé avec Suzanne, il annonce qu’il fera tout pour que le mariage de la camériste avec Figaro n’ait pas lieu. Pour piéger le comte qui la poursuit de ses assiduités, on va faire revêtir à Chérubin des vêtements de Suzanne pour qu’il prenne sa place au rendez-vous que le comte a exigé d’elle. La comtesse pourra ainsi confondre son époux inconstant. Mais la Comtesse comprend combien son filleul s’est attaché à elle et, grâce à la scène du ruban, prend conscience de ses sentiments pour lui qu’elle refoule encore. Le Comte est sur le point d’entrer…

Acte II
Scène 8
CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise, SUZANNE.

SUZANNE, revenant – Et la ligature à son bras ? (Elle remet à la Comtesse du taffetas gommé et des ciseaux.)

LA COMTESSE – En allant lui chercher tes hardes, prends le ruban d’un autre bonnet. (Suzanne sort par la porte du fond, en emportant le manteau du page.)
Scène 9
CHÉRUBIN, à genoux ; LA COMTESSE, assise.

CHERUBIN, les yeux baissés – Celui qui m’est ôté m’aurait guéri en moins de rien.

LA COMTESSE – Par quelle vertu ? (Lui montrant le taffetas.) Ceci vaut mieux.

CHERUBIN, hésitant – Quand un ruban… a serré la tête… ou touché la peau d’une personne…

LA COMTESSE, coupant la phrase – … Étrangère, il devient bon pour les blessures ? J’ignorais cette propriété. Pour l’éprouver, je garde celui-ci qui vous a serré le bras. À la première égratignure… de mes femmes, j’en ferai l’essai.

CHERUBIN, pénétré – Vous le gardez, et moi je pars !

LA COMTESSE – Non pour toujours.

CHERUBIN – Je suis si malheureux !

LA COMTESSE, émue – Il pleure à présent ! C’est ce vilain Figaro avec son pronostic !

CHERUBIN, exalté – Ah ! je voudrais toucher au terme qu’il m’a prédit ! Sûr de mourir à l’instant, peut-être ma bouche oserait…

LA COMTESSE, l’interrompt, et lui essuie les yeux avec son mouchoir – Taisez-vous, taisez-vous, enfant. Il n’y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites. (On frappe à la porte, elle élève la voix.) Qui frappe ainsi chez moi ?
Scène 10
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, LE COMTE en dehors

LE COMTE, en dehors – Pourquoi donc enfermée ?

LA COMTESSE, troublée, se lève – C’est mon époux ! grands dieux !... (A Chérubin, qui s’est levé aussi.) Vous sans manteau, le col et les bras nus ! seul avec moi ! cet air de désordre , un billet reçu, sa jalousie !...

LE COMTE, en dehors – Vous n’ouvrez pas ?

LA COMTESSE – C’est que … je ne suis pas seule.

LE COMTE, en dehors – Seule ! avec qui parlez-vous donc ?

LA COMTESSE, cherchant – … Avec vous sans doute.

CHERUBIN, à part – Après les scènes d’hier et de ce matin, il me tuerait sur la place ! (Il court au cabinet de toilette, y entre, et tire la porte sur lui.)

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
La Folle journée ou le mariage de Figaro, II, 8, 9 et 10 (les amoureux en danger)
Ecrite en septembre 1778, lue en 1781 et autorisée en 1784.