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George Sand, pseudonyme d’Aurore Dupin, est née en 1804 à Paris d’un père noble et d’une mère roturière. Elle devient par son mariage baronne Dudevant. Autrice d’une œuvre prolifique, elle a été romancière, dramaturge, épistolière, journaliste et critique littéraire. Féministe passionnée, elle s’est engagée dans les débats politiques. En littérature, elle s’est choisi un prénom masculin, George, et a conservé le nom de plume de son mari, Jules Sand. Elle a accueilli des personnalités, dont Musset et Chopin, au domaine de Nohant (dans le Berry), où elle s’éteint en 1876. Figure éminente du romantisme, elle est connue du grand public pour ses romans champêtres (La Mare au diable, La Petite Fadette). En 1842-1843, elle publie en feuilleton le roman historique Consuelo, dont l’héroïne éponyme, une jeune espagnole d’origine bohémienne, connaît au XVIIIe siècle la célébrité comme cantatrice à Venise, puis voyage en Europe et se réfugie en Bohème, à Riesenburg, où elle épouse le comte Albert de Rudolstadt.

Le passage que nous étudions se situe au chapitre XVII. La première partie du roman se déroule à Venise, dans les années 1740. Le narrateur anonyme raconte tout d’abord l’origine et les talents de Consuelo (en espagnol « Consolation »), une jeune cantatrice douée, disciple du professeur de chant Nicola Porpora. Elle suscite l’admiration du comte Zustiniani, qui veut la recruter dans sa troupe de théâtre. Mais en raison de sa laideur, le comte lui préfère la belle Corilla, autre élève de Porpora et rivale de Consuelo, avec laquelle il a une liaison. Zustiniani veut également recruter Anzoleto (« Petit Ange »), un jeune ténor de 24 ans prometteur, attiré par Consuelo, mais aussi par Corilla, qui l’aime également. Au chapitre XVII, Consuelo et Anzoleto se produisent pour la première fois à l’opéra de Venise.


BnF – Les Essentiels : George Sand / Consuelo https://essentiels.bnf.fr/fr/personnalite/415698dd-986f-4181-a4bf-3fbd5b2b784e-george-sand https://essentiels.bnf.fr/fr/article/51815c1c-bee6-4114-9010-992e873e945c-consuelo
Lumni – Dossier sur « George Sand » https://www.lumni.fr/dossier/george-sand
INA – « Portrait d’une femme libre, George Sand, par sa petite-fille en 1961 » https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/george-sand-ecrivaine-auteure-feminisme-france-2-mini-serie
ARTE – Émission « Tout est vrai (ou presque) » consacrée à George Sand https://www.arte.tv/fr/videos/094490-018-A/tout-est-vrai-ou-presque/
ARTE – Document « L’armée des romantiques » n° 2, en partie consacré à George Sand et Musset https://www.arte.tv/fr/videos/080150-002-A/l-armee-des-romantiques-2-4/

Enfin ce grand jour arriva, et la salle fut si remplie qu’on y pouvait à peine respirer. Corilla, vêtue de noir, pâle, émue, plus morte que vive, partagée entre la crainte de voir tomber son amant et celle de voir triompher sa rivale, alla s’asseoir au fond de sa petite loge obscure sur le théâtre. Tout le ban et l’arrière-ban des aristocraties et des beautés de Venise vinrent étaler les fleurs et les pierreries en un triple hémicycle étincelant. Les hommes charmants encombraient les coulisses et, comme c’était alors l’usage, une partie du théâtre. La dogaresse se montra à l’avant-scène avec tous les grands dignitaires de la république. Le Porpora dirigea l’orchestre en personne, et le comte Zustiniani attendit à la porte de la loge de Consuelo qu’elle eût achevé sa toilette, tandis qu’Anzoleto, paré en guerrier antique avec toute la coquetterie bizarre de l’époque, s’évanouissait dans la coulisse et avalait un grand verre de vin de Chypre pour se remettre sur ses jambes. […]
Lorsque Anzoleto parut sur la scène, un murmure d’admiration courut dans toute la salle. Le ténor auquel il succédait, admirable chanteur, qui avait eu le tort d’attendre pour prendre sa retraite que l’âge eût exténué sa voix et enlaidi son visage, était peu regretté d’un public ingrat ; et le beau sexe, qui écoute plus souvent avec les yeux qu’avec les oreilles, fut ravi de voir, à la place de ce gros homme bourgeonné, un garçon de vingt-quatre ans, frais comme une rose, blond comme Phébus, bâti comme si Phidias s’en fût mêlé, un vrai fils de lagunes ; bianco, crespo, e grassotto.
Il était trop ému pour bien chanter son premier air, mais sa voix magnifique, ses belles poses, quelques traits heureux et neufs suffirent pour lui conquérir l’engouement des femmes et des indigènes. Le débutant avait de grands moyens, de l’avenir : il fut applaudi à trois reprises et rappelé deux fois sur la scène après être rentré dans la coulisse, comme cela se pratique en Italie et à Venise plus que partout ailleurs.

George Sand
Consuelo , chapitre XVII (La première prestation du ténor Anzoleto au théâtre de Venise)
1842 à 1844