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Françoise d’Issembourg du Buisson d’Happoncourt, née en 1695 dans le duché de Lorraine, épouse à 17 ans François Huguet de Graffigny, officier séduisant mais mari brutal. Veuve dès 30 ans, donc libre, elle fréquente les salons aristocratiques, à Lunéville, puis à Cirey chez Émilie du Châtelet et Voltaire, enfin à Paris. Elle correspond avec ses amis lorrains, surtout François-Antoine Devaux, lecteur du duc Stanislas Leszczynski. Autrice de plusieurs pièces de théâtre et d’une ample correspondance, elle connaît un succès considérable en 1747 grâce à la publication de son roman épistolaire Lettres d’une Péruvienne. Son héroïne éponyme, Zilia, une jeune Péruvienne, capturée par des Espagnols puis par des Français, écrit des lettres à son promis, Aza. Hébergée à Paris chez la mère de Déterville et chez Céline, puis à la campagne, Zilia découvre en France un nouvel univers géographique et mental qu’elle fait partager en héroïne « éclairée » à Aza. Mais l’infidélité de son bien-aimé, qui épouse une Espagnole, oblige Zilia à revoir son projet de vie.

Le roman comprend deux parties distinctes : la première évoque la captivité de Zilia (lettres 1-27), la seconde sa conquête de l’indépendance (lettres 28-41). Après avoir résidé à Paris chez la mère du jeune officier Déterville (lettres 13-18), puis au couvent (lettres 19-27), Zilia est hébergée par Céline, sœur de Déterville, d’abord dans sa maison de campagne (lettres 28-31), puis dans sa résidence à Paris (lettres 32-34). C’est dans la capitale que la jeune Péruvienne découvre la vie mondaine et les mœurs des aristocrates français. Le contraste avec la vie qu’elle menait jusque-là est saisissant, comme elle l’avoue sans ambages à son promis Aza juste avant le passage étudié : « Peu instruite dans la maison religieuse, je ne l’ai guère été davantage à la campagne, où je n’ai vu qu’une société particulière […]. Ce n’est qu’ici où, répandue dans ce qu’on appelle le grand monde, je vois la nation entière ».


BnF – Les Essentiels : Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne https://essentiels.bnf.fr/fr/mot-cle/95bcefc3-7f8c-4cb0-ab75-4c78d1bbebae-francoise-graffigny https://gallica.bnf.fr/essentiels/graffigny/lettres-d-une-peruvienne
BnF – Les Essentiels, Lumni : « les salons au XVIIIe siècle » https://essentiels.bnf.fr/fr/album/67c35ad2-f43f-46f6-818e-706d7f987ad2-salons-18e-siecle https://www.lumni.fr/video/les-salons-au-xviiie-siecle
Le Louvre : « Portrait présumé de Madame de Graffigny (1695-1758), écrivain » https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065373

Les devoirs que nous rendons consistent à entrer en un jour dans le plus grand nombre de maisons qu’il est possible pour y rendre et y recevoir un tribut de louanges réciproques sur la beauté du visage et de la taille, sur l’excellence du goût et du choix des parures.
Je n’ai pas été longtemps sans m’apercevoir de la raison qui fait prendre tant de peines pour acquérir cet hommage ; c’est qu’il faut nécessairement le recevoir en personne, encore n’est-il que bien momentané. Dès que l’on disparaît, il prend une autre forme. Les agréments que l’on trouvait à celle qui sort ne servent plus que de comparaison méprisante pour établir les perfections de celle qui arrive.
La censure est le goût dominant des Français, comme l’inconséquence est le caractère de la nation. Leurs livres sont la critique générale des mœurs, et leur conversation celle de chaque particulier, pourvu néanmoins qu’ils soient absents.
Ce qu’ils appellent la mode n’a point encore altéré l’ancien usage de dire librement tout le mal que l’on peut des autres et, quelquefois, celui que l’on ne pense pas. Les plus gens de bien suivent la coutume ; on les distingue seulement à une certaine formule d’apologie de leur franchise et de leur amour pour la vérité, au moyen de laquelle ils révèlent sans scrupule les défauts, les ridicules et jusqu’aux vices de leurs amis.
Si la sincérité dont les Français font usage les uns contre les autres n’a point d’exception, de même leur confiance réciproque est sans borne. Il ne faut ni éloquence pour se faire écouter, ni probité pour se faire croire. Tout est dit, tout est reçu avec la même légèreté.
Ne crois pas pour cela, mon cher Aza, qu’en général les Français soient nés méchants, je serais plus injuste qu’eux si je te laissais dans l’erreur.
Naturellement sensibles, touchés de la vertu, je n’en ai point vu qui écoutât sans attendrissement l’histoire que l’on m’oblige souvent à faire de la droiture de nos cœurs, de la candeur de nos sentiments et de la simplicité de nos mœurs ; s’ils vivaient parmi nous, ils deviendraient vertueux. L’exemple et la coutume sont les tyrans de leurs usages.

Françoise de Graffigny
Lettres d’une Péruvienne , lettre XXX, version de 1747 = lettre XXXII, version de 1752 (Les mœurs des Français vues par Zilia)
1747, avec des ajouts dans la version de 1752.