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Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, est née en 1873 dans un petit village de l’Yonne, en Bourgogne, où elle passe une enfance et une adolescence heureuses auprès de sa mère, Sido, qui l’initie à l’amour de la nature et des animaux. Mariée une première fois à 20 ans, déracinée à Paris puis émancipée des conventions sociales de son époque, tour à tour artiste de music-hall, journaliste, comédienne, écrivaine, elle ne cessera de retourner vers la province pour se ressourcer et puiser une partie de son inspiration dans les éléments naturels. Dans son œuvre Sido, publiée en 1930, elle présente en leur rendant hommage, à travers une écriture autobiographique, les membres de sa famille : sa mère, son père le Capitaine, et sa fratrie composée des « Sauvages ». Les qualités d’écrivaine de Colette sont reconnues et honorées de son vivant, au point que l’Etat français lui accorde en 1954 des funérailles nationales.

Cet extrait s’inscrit dans la première partie de l’œuvre, plus spécifiquement consacrée à l’évocation de la mère, Sido. De longs passages sont réservés au lien particulier que celle-ci entretient avec la Bourgogne et la nature. Nous la découvrons ici dans son jardin luxuriant.


Un été avec Colette : très courtes émissions radiophoniques (épisodes de 3 minutes environ) présentant la vie et l’œuvre de Colette, par Antoine Compagnon https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette
Colette et la nature : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/co2-mon-amour/colette-et-la-nature-2148865

Sur des gradins de bois peints en vert, elle entretenait toute l’année des reposoirs de plantes en pots, géraniums rares, rosiers nains, reines-des-prés aux panaches de brume blanche et rose, quelques « plantes grasses » poilues et trapues comme des crabes, des cactus meurtriers … Un angle de murs chauds gardait des vents sévères son musée d’essais, des godets d’argile rouge où je ne voyais que terre meuble et dormante.
– Ne touche pas !
– Mais rien ne pousse !
– Et qu’en sais-tu ? Est-ce toi qui en décides ? Lis, sur les fiches de bois qui sont plantées dans les pots ! Ici, graines de lupin bleu ; là, un bulbe de narcisse qui vient de Hollande ; là, graines de physalis ; là, une bouture d’hibiscus – mais non, ce n’est pas une branche morte ! – et là, des semences de pois de senteur dont les fleurs ont des oreilles comme des petits lièvres. Et là… Et là… […]
A ce moment, son visage, enflammé de foi, de curiosité universelle, disparaissait sous un autre visage plus âgé, résigné et doux. Elle savait que je ne résisterais pas, moi non plus, au désir de savoir et qu’à son exemple je fouillerais, jusqu’à son secret, la terre du pot à fleurs. Elle savait que j’étais sa fille, moi qui ne pensais pas à notre ressemblance, et que déjà je cherchais, enfant, ce choc, ce battement accéléré du cœur, cet arrêt du souffle : la solitaire ivresse du chercheur de trésor. Un trésor, ce n’est pas seulement ce que couvent la terre, le roc ou la vague. La chimère de l’or et de la gemme n’est qu’un informe mirage : il importe seulement que je dénude et hisse au jour ce que l’œil humain n’a pas, avant le mien, touché…
J’allais donc, grattant à la dérobée le jardin d’essai, surprendre la griffe ascendante du cotylédon, le viril surgeon que le printemps chassait de sa gaine. Je contrariais l’aveugle dessein que poursuit la chrysalide d’un noir brun bilieux et la précipitais d’une mort passagère au néant définitif.
– Tu ne comprends pas… Tu ne peux pas comprendre. Tu n’es qu’une petite meurtrière de huit ans… de dix ans… Tu ne comprends rien encore à ce qui veut vivre…
Je ne recevais pas, en paiement de mes méfaits, d’autre punition. Celle-là m’était d’ailleurs assez dure.

Colette
Sido , Partie I (La leçon de botanique)
1930