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Jean RACINE (1639-1699) est un dramaturge de l’époque classique. Il fait partie des grandes figures de la tragédie ; protégé de Louis XIV, Racine propose des tragédies sur fond historique. En 1672, il est élu à l’Académie française. En 1669, il écrit Britannicus, tragédie romaine entre amour et politique, qui reçoit un accueil d’abord mitigé puis un grand succès. Le dramaturge met en scène les premières années de règne du jeune empereur Néron, qui a fomenté l’enlèvement de Junie pour nuire à son demi-frère, Britannicus. Cet enlèvement marque à la fois l’émancipation de Néron du joug maternel d’Agrippine, mais aussi l’affirmation de son pouvoir tyrannique aux yeux des Romains.

Au début de la pièce écrite en alexandrins, le palais de Rome, lieu de l’action, découvre l’acte fourbe du souverain illégitime Néron : l’enlèvement de Junie, amante de Britannicus. À l’acte II, scène 2, Junie arrive tout au juste au palais de Néron. Dans une tirade en alexandrins, celui-ci expose à Narcisse, son confident et gouverneur de Britannicus, la nature des sentiments qui le gagnent à l’égard de sa prisonnière.


Captation de l’Acte II, scène 2, mise en scène par Stéphane Braunchsweig, dans l’onglet scène comparée. https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/oeuvre/jean-racine-1/britannicus.html


Néron
Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes :
Belle, sans ornements, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris, et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs.
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue :
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire,
De son image en vain j'ai voulu me distraire.
Trop présente à mes yeux, je croyais lui parler ;
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce ;
J'employais les soupirs, et même la menace.
Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,
Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour.
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image ;
Elle m'est apparue avec trop d'avantage :
Narcisse, qu'en dis-tu ?

Jean Racine
Britannicus , Acte II, scène 2 (Le tyran amoureux)
1669