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Victor Hugo est vite considéré comme le chef de file du Romantisme et certains de ses textes théâtraux ont fait grand bruit, notamment la préface de son drame Cromwell (1827) et Hernani qui fait scandale en 1830 en imposant une nouvelle conception du théâtre. Il a écrit en 1832 deux pièces : l’une Le roi s’amuse fait scandale, est sifflée ; l’autre Lucrèce Borgia est un triomphe. Les deux ont en commun la figure du monstre, physique pour la première, moral pour la seconde, les deux transformées par l’amour filial. Lucrèce Borgia est représentée pour la première fois le 2 février 1833 et le drame en trois actes repose sur une figure historique de la Renaissance italienne, célèbre empoisonneuse, fille d’un Pape et mère d’un fils qu’elle aurait eu avec un de ses frères. Le drame raconte les retrouvailles avec ce fils et l’impossibilité pour la mère à révéler sa véritable identité. C’est aussi l’histoire d’une terrible vengeance.

Victor Hugo donne un titre à chacun de ses actes et le deuxième se nomme symboliquement « le couple ». Il peut aussi bien désigner Lucrèce Borgia et Gennaro, son fils qui ignore qu’elle est sa mère et que tout le monde prend pour son nouvel amant, que Dona Lucrezia et Don Alphonse, couple officiel qui se joue l’un de l’autre. Deux scènes avant celle-ci, Lucrèce vient de demander la tête de celui qui l’a offensée en faisant sauter la première lettre de BORGIA écrit « en grosses lettres saillantes de cuivre doré » sur la façade du palais, renvoyant ainsi l’héroïne à ses mœurs dissolues dont l’orgie (« orgia » désigne en italien la débauche). Mais elle vient d’apprendre que c’est le geste de Gennaro, son fils, jeune homme d’armes qui se croit orphelin par la faute de cette Borgia. Ce dialogue a lieu dans « une salle du palais ducal » et elle vient de demander au Duc d’Este de s’entretenir en privé avec lui pour lui demander la grâce de celui dont elle cache l’identité.


Chronologie Victor Hugo : https://gallica.bnf.fr/essentiels/hugo/chronologie
Hugo, l’auteur en images : https://gallica.bnf.fr/essentiels/hugo/auteur-images
Eclairages sur la représentation par la Comédie française en 1994 : https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00339/lucrece-borgia-de-victor-hugo.html
Choix de mise en scène pour la représentation de la Comédie française en 2014 : https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/lucrece-borgia14-15


DONA LUCREZIA . ─ […] Tenez, asseyez-vous là, près de moi, et causons un peu, tendrement, cordialement, comme mari et femme, comme deux bons amis.
DON ALPHONSE, prenant de son côté un air de galanterie. ─ Dona Lucrezia, vous êtes ma dame, et je suis trop heureux qu’il vous plaise de m’avoir un instant à vos pieds. Il s’assied près d’elle.

DONA LUCREZIA . ─ Comme cela est bon de s’entendre ! Savez-vous bien, Alphonse, que je vous aime encore comme le premier jour de mon mariage, ce jour où vous fîtes une si éblouissante entrée à Rome, entre monsieur de Valentinois, mon frère, et monsieur le cardinal Hippolyte d’Este, le vôtre ? J’étais sur le balcon des degrés de Saint-Pierre. Je me rappelle encore votre beau cheval blanc chargé d’orfèvrerie d’or, et l’illustre mine de roi que vous aviez dessus !
DON ALPHONSE . ─ Vous étiez vous-même bien belle, Madame, et bien rayonnante sous votre dais de brocart d’argent.
DONA LUCREZIA . ─ Oh ! ne me parlez pas de moi, monseigneur, quand je vous parle de vous. Il est certain que toutes les princesses de l’Europe m’envient d’avoir épousé le meilleur chevalier de la chrétienté. Et moi je vous aime vraiment comme si j’avais dix-huit ans. Vous savez que je vous aime, n’est-ce pas, Alphonse ? Vous n’en doutez jamais, au moins ? Je suis froide quelquefois, et distraite ; cela vient de mon caractère, non de mon cœur. Écoutez, Alphonse, si Votre Altesse m’en grondait doucement, je me corrigerais bien vite. La bonne chose de s’aimer comme nous faisons ! Donnez-moi votre main, — embrassez-moi, don Alphonse ! — En vérité, j’y songe maintenant, il est bien ridicule qu’un prince et une princesse comme vous et moi, qui sont assis côte à côte sur le plus beau trône ducal qui soit au monde, et qui s’aiment, aient été sur le point de se quereller pour un misérable petit capitaine aventurier vénitien ! Il faut chasser cet homme, et n’en plus parler. Qu’il aille où il voudra, ce drôle, n’est-ce pas, Alphonse ? Le lion et la lionne ne se courroucent pas d’un moucheron. — Savez-vous, monseigneur, que si la couronne ducale était à donner en concours au plus beau cavalier de votre duché de Ferrare, c’est encore vous qui l’auriez. — Attendez, que j’aille dire à Bautista de votre part qu’il ait à chasser au plus vite de Ferrare ce Gennaro.

Victor Hugo
Lucrèce Borgia , HUGO, Victor, Acte II, Lucrèce Borgia, première partie, scène 4, 1833 (Le lion et la lionne ne se courroucent pas d’un moucheron.)
1833