Taille texte


Espace lettres


Espace mots


Espace lignes

Alfred de Musset, né en 1810, est une figure importante du Romantisme. Il écrit et publie beaucoup dans les années 1830, dont On ne badine pas avec l’amour qui ne sera pas jouée de son vivant car Musset, après l’échec d’une première pièce, a décidé que ses œuvres théâtrales suivantes ne seront pas représentées sur scène, selon un concept qu’il nomme « un spectacle dans un fauteuil ». Cette période est aussi marquée par une relation passionnée et tumultueuse entretenue avec George Sand, autrice très importante qui développe chez lui une réflexion sur l’amour.

Perdican est un jeune noble, âgé de vingt-et-un ans, qui revient chez lui après avoir brillamment réussi ses études. Son père a le projet de lui faire épouser sa cousine Camille, dix-huit ans, qui sort du « meilleur couvent de France » et passe pour « la meilleure chrétienne de France » selon Dame Pluche, sa gouvernante. Elle a donné rendez-vous à Perdican « à midi à la petite fontaine » qu’ils ont fréquentée dans leur jeunesse. Lui est très favorable à cette union qu'il trouve naturelle, comme une conséquence logique de leur attachement passé. Mais presque dix ans se sont écoulés et Camille a en tête les expériences malheureuses que lui ont racontées ses camarades de couvent, notamment celles d'une nonne avec laquelle elle partage sa cellule. Son discours s'en est nourri et elle vient d'annoncer à son cousin qu’elle refuse tout amour et retourne au couvent, car elle ne croit pas en la permanence des sentiments amoureux. Cet extrait de leur dialogue clôture leur échange et l’acte II.


Extraits de la mise en scène de Jean-Pierre Vincent (1993, INA) : https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00338/on-ne-badine-pas-avec-l-amour-de-musset.html
Dossier de presse de la Comédie française pour les représentations de 2011 : https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/on-ne-badine-pas-avec-lamour10-11
Une présentation de Musset : https://gallica.bnf.fr/essentiels/musset


PERDICAN. ─ Sais-tu ce que c'est que des nonnes, malheureuse fille ? Elles qui te représentent l'amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu'il y a pis encore, le mensonge de l'amour divin ? Savent-elles que c'est un crime qu'elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? Ah ! comme elles t'ont fait la leçon ! Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance, et le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton cœur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t'asseoir sur l'herbe où nous voilà. Eh bien ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t'ont mise dans le vrai chemin ; il pourra m'en coûter le bonheur de ma vie ; mais dis-leur cela de ma part : le ciel n'est pas pour elles.
CAMILLE. ─ Ni pour moi, n'est-ce pas ?
PERDICAN. ─ Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : « J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Il sort.

Alfred Musset (de)
On ne badine pas avec l’amour , De MUSSET Alfred, On ne badine pas avec l’amour, Acte II, scène 5, fin, 1834 (Tous les hommes sont…)
1834