Taille texte


Espace lettres


Espace mots


Espace lignes

François Rabelais, né en 1483 ou 1484 à Seuilly, en Touraine, est un écrivain humaniste de la Renaissance. Moine, médecin, éditeur et traducteur, Rabelais milite pour la paix, la tolérance, l’éducation humaniste fondée sur la connaissance des œuvres de l’Antiquité gréco-romaine. Il est l’auteur d’une saga de cinq romans, où il raconte les aventures d’une famille de géants. Il meurt à Paris en 1553. Deuxième roman publié sous le nom d’Alcofribas Nasier (anagramme de l’auteur), Gargantua raconte la vie du personnage éponyme, Gargantua, fils de Grandgousier, roi d’Utopie, et père de Pantagruel. Dans le « prologue », Alcofribas invite les lecteurs à ne pas s’en tenir au sens littéral, mais à rechercher la signification cachée derrière les apparences, donc à « rompre l’os et sucer la substantifique moelle ». Puis il narre les aventures de Gargantua en quatre parties : les origines et la naissance du héros, son enfance et son éducation, la guerre picrocholine, enfin la construction de l’abbaye utopique de Thélème.

L’extrait étudié se situe dans la troisième partie, consacrée aux exploits guerriers de Gargantua et de ses soldats. Après une dispute opposant des bergers de Gargantua et des fouaciers (vendeurs de galettes) de son royaume, Picrochole, roi de Lerné, vient de déclarer la guerre à Grandgousier. Ses soldats commencent par attaquer le clos de Seuilly (terrain viticole situé dans la ville natale de Rabelais), mais le moine frère Jean des Entommeures rejoint les soldats de Gargantua pour défendre ses vignes. C’est la première apparition de frère Jean dans le roman.


BnF – Les Essentiels : https://essentiels.bnf.fr/fr/mot-cle/015b87f1-ff9a-4c82-8841-d3f81e10fc6d-francois-rabelais
Remacle – Une source de Rabelais : L’Iliade d’Homère https://remacle.org/bloodwolf/poetes/homere/iliade5.htm
BnF – Sur les gravures de Gustave Doré illustrant les cinq romans de Rabelais : https://essentiels.bnf.fr/fr/album/6dd33b16-b4ec-4fcb-add7-0eb44162cacf-oeuvres-francois-rabelais (Cliquez sur « Explorer l’album » et faites défiler les 24 illustrations.)
Wikimedia Commons – La gravure de Gustave Doré intitulée « Frère Jean sauve le clos de l’abbaye contre l’armée picrocholine » : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Gargantua_illustrated_by_Gustave_Dor%C3%A9#/media/File:Fr%C3%A8re_Jean_d%C3%A9fend_le_clos_de_l'abbaye_de_Seuill%C3%A9.jpg
ATILF – Sur les multiples sens de l’adjectif « rabelaisien » : https://www.cnrtl.fr/definition/rabelaisien

Si certains voulaient se cacher entre les ceps les plus épais, il leur froissait toute l’épine dorsale, et il leur brisait les reins comme à des chiens. Si d’autres voulaient se sauver en fuyant, il leur faisait voler en pièces toute la tête en frappant à la suture lambdoïde. Si d’autres encore gravissaient un arbre en pensant s’y mettre en sûreté, de son bâton il les empalait par le fondement.
Si quelque vieille connaissance lui criait :
« Ah ! frère Jean, mon ami, frère Jean je me rends.
- T’y voilà bien forcé, disait-il. Mais c’est à tous les diables que tu rendras ton âme. »
Et brutalement il le rouait de coups. Et si quiconque se piquait de témérité pour vouloir lui résister en face, alors il montrait la force de ses muscles. Car il lui transperçait la poitrine par le médiastin et par le cœur ; à d’autres, cognant dans le creux des côtes, il leur retournait l’estomac et ils mouraient soudainement ; d’autres encore, il les frappait si hardiment par le nombril qu’il leur faisait sortir les tripes, et à d’autres c’était par les couilles qu’il leur perçait le boyau du cul. Croyez bien que c’était le plus horrible spectacle qu’on vît jamais.
Les uns criaient : « Sainte Barbe ! »
D’autres : « Saint Georges ! »
D’autres : « Sainte Nitouche ! »
D’autres : « Notre-Dame de Cunault, de Lorette, de Bonne Nouvelle, de la Lenou, de rivière ! » Les uns se vouaient à saint Jacques, les autres au Saint Suaire de Chambéry, même s’il brûla trois mois plus tard, et qu’on n’en put sauver un brin.
D’autres se vouaient à Cadouin.
D’autres à saint Jean d’Angély.
D’autres à saint Eutrope de Saintes, à saint Mesme de Chinon, à saint Martin de Candes, à saint Clouaud de Cinais, aux reliques de Javarzay, et à mille autres bons petits saints.
Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. Les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant.
D’autres criaient à haute voix : « Confession ! Confession ! Je me confesse, ayez pitié, je me remets entre vos mains. »
Si grand fut le cri des estropiés que le prieur de l’abbaye sortit avec tous ces moines. Quand ils aperçurent ces pauvres gens ainsi renversés dans la vigne et blessés à mort, ils en confessèrent quelques-uns.

François Rabelais
Gargantua , RABELAIS François, Gargantua, chapitre 27 : « Comment un moine de Seuilly sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis », 1535 « Comment un moine de Seuilly sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis »
1535