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Arthur Rimbaud, adolescent fugueur, né en 1894, a écrit un ensemble de vingt-deux poèmes recueillis sous le titre Les Cahiers de Douai, manuscrits remis à un éditeur de Douai, Paul Demeny qu’il rencontre par l’intermédiaire de son professeur de rhétorique, Georges Izambard. Le premier cahier regroupe quinze poèmes, le second sept. On est en 1870 : le poète a écrit ces poèmes à l’âge de quinze ou seize ans. Un an plus tard, il demandera à Demeny de « brûle(r) tous les vers qu’(il) fu(t) assez sot pour (lui) donner lors de (son) séjour à Douai ». Cette volonté ne sera pas respectée. A vingt ans, il renoncera à la littérature pour se consacrer à une vie de négociant et d’explorateur en Afrique. La première édition de ses œuvres complètes date de 1895, avec une préface de Paul Verlaine. Rimbaud est mort en 1891, à l’âge de trente-sept ans.

Le poème, composé de quatrains d’alexandrins aux rimes croisées, est daté du « 29 sept[embre] 1870 » ; Rimbaud a à peine seize ans. Le titre du poème « Roman » peut surprendre. Voici la définition du mot qu’en donne le TLFI : un récit « mêlant le réel et l’imaginaire […] qui cherche à susciter l’intérêt, le plaisir du lecteur en racontant le destin d’un héros principal, une intrigue entre plusieurs personnages, présentés dans leur psychologie, leurs passions, leurs aventures, leur milieu social, leur arrière-fond moral ».


BNF – Les Essentiels https://essentiels.bnf.fr/fr/mot-cle/04a67b5a-12e4-452c-89f3-d47e09da7a24-arthur-rimbaud
Œuvres d’Ernest Pignon-Ernest sur Arthur Rimbaud (1978) https://pignon-ernest.com/
Un été avec Rimbaud : très courtes émissions de radio (épisodes de 3 minutes environ) présentant la vie et l’œuvre de Rimbaud, par Sylvain Tesson https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-rimbaud

I
1
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
 
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
 
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
 
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

5
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
 
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
 
Le vent chargé de bruits, – la ville n'est pas loin, –
 
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II
9
– Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
 
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
 
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
 
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

13
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
 
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
 
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
 
Qui palpite là, comme une petite bête...

III
17
Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
 
– Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
 
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
 
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

21
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
 
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
 
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
 
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

IV
25
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
 
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
 
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
 
– Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

29
– Ce soir-là,... – vous rentrez aux cafés éclatants,
 
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
 
– On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
 
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.


Arthur Rimbaud
Les Cahiers de Douai , 1er cahier « Roman »
1895