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Sidonie-Gabrielle Colette, née en 1873, est une autrice majeure de la littérature française de la première moitié du vingtième siècle, connue dans un premier temps pour une série de romans autour d’un personnage récurrent, Claudine, inspiré de sa propre vie. En 1930 paraît Sido, un récit de souvenirs d’enfance qui rend hommage à sa mère décédée en 1912, notamment dans la première partie qui lui est entièrement consacrée. « Sido » est le dimunitif de Sidonie, prénom maternel.

L’extrait se situe dans les premières pages. Après avoir fait entendre la voix de sa mère et témoigné son admiration pour elle par quelques anecdotes soulignant sa forte personnalité, Colette évoque la beauté de son pays natal en hiver comme en été. Sa maison se situe à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne. Elle raconte dans le passage une promenade à l’aube, seule, dans un émerveillement de petite fille amoureuse de la nature, sans préciser l’âge exact qu’elle a alors.


Colette une femme libre, téléfilm de Marie Trintignant https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2551064001049/colette-une-femme-libre
Vie de Colette, présentée par un épisode de la série d’animation « Tout est vrai ou presque » à l’occasion de la sortie du film Colette de Wash Westmoreland en 2018 : https://www.arte.tv/fr/videos/094490-003-A/tout-est-vrai-ou-presque
Extraits de Sido par Colette : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k88104644/f1.media https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8815250z/f1.media
Photographies représentant Colette : https://gallica.bnf.fr/blog/19022018/colette-journaliste?mode=desktop

Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par mon poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée " Beauté, Joyau-tout-en-or "; elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, – " chef-d’œuvre ", disait-elle. J'étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul, pas avant d'avoir dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire...

Colette
Sido , Partie I (« Etés réverbérés… »)
1930