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Sidonie-Gabrielle Colette, née en 1873, est une autrice majeure de la littérature française de la première moitié du vingtième siècle, connue d’abord pour une série de romans autour d’un personnage récurrent, Claudine, inspiré de sa propre vie. En 1908 (elle a alors 35 ans) paraît Les Vrilles de la vigne, un recueil de nouvelles d’inspiration autobiographique où s’exprime son amour de la nature.

« Les Vrilles de la vigne » est la nouvelle qui donne son titre à l’ensemble. La première partie du texte raconte l’histoire d’un rossignol qui s’endormit « debout sur un jeune sarment » de vigne et « s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes », comme pris au piège par la poussée de la vigne en pleine nuit. « Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient. » Il s’agit de la seconde moitié du texte.


Colette une femme libre, téléfilm de Marie Trintignant https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2551064001049/colette-une-femme-libre
Vie de Colette, présentée par un épisode de la série d’animation « Tout est vrai ou presque » à l’occasion de la sortie du film Colette de Wash Westmoreland en 2018 : https://www.arte.tv/fr/videos/094490-003-A/tout-est-vrai-ou-presque
Une partie du texte interprété par Muse Dalbray : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k88110731.media
Photographies représentant Colette : https://gallica.bnf.fr/blog/19022018/colette-journaliste?mode=desktop

J’ai vu chanter un rossignol sous la lune, un rossignol libre et qui ne se savait pas épié. Il s’interrompt parfois, le col penché, comme pour écouter en lui le prolongement d’une note éteinte… Puis il reprend de toute sa force, gonflé, la gorge renversée, avec un air d’amoureux désespoir. Il chante pour chanter, il chante de si belles choses qu’il ne sait plus ce qu’elles veulent dire. Mais moi, j’entends encore à travers les notes d’or, les sons de flûte grave, les trilles tremblés et cristallins, les cris purs et vigoureux, j’entends encore le premier chant naïf et effrayé du rossignol pris aux vrilles de la vigne :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix.
Toute seule, éveillée dans la nuit, je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose… Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix. Parfois, je crie fiévreusement ce qu’on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix languit jusqu’au murmure parce que je n’ose poursuivre…
Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir…
Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne.

Colette
Les Vrilles de la vigne , Première nouvelle (Le chant du rossignol)
1908