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Artisan d’origine modeste et de religion protestante, Jean de Léry participe à une expédition française au Brésil. Il y reste de mars 1557 à janvier 1558. La concorde religieuse semble d'abord régner mais, en octobre, les protestants sont chassés du Fort Coligny où ils résident et doivent partager plusieurs mois la vie des Indiens Tupinambas. À son retour, Jean de Léry raconte son voyage et sa vie auprès des Tupinambas et publie son livre en 1578, sous le titre d’ Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil.

Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil suit la chronologie de ce voyage : après avoir évoqué le départ et l’arrivée au Brésil, les chapitres VII à XXII décrivent le pays découvert ainsi que les mœurs de ses habitants. Dans le chapitre XIII, Jean de Léry s’attarde sur la description des fruits et des légumes. Cette scène présente un dialogue avec un vieillard Tupinambas qui ne comprend pas pourquoi les Européens exportent tant de bois brésilien. Jean de Léry lui explique alors que ce bois est utilisé pour faire de la teinture. La discussion se poursuit par une question du vieil Amérindien.

« Voire, mais vous en faut-il tant ?
– Oui, lui dis-je, car (en lui faisant trouver bon) y ayant tel marchand en notre pays qui a plus de frises et de draps rouges, voire même (m’accommodant toujours à lui parler de choses qui lui étaient connues) de couteaux, ciseaux, miroirs et autres marchandises que vous n’en avez jamais vu par deçà, un tel seul achètera tout le bois de Brésil dont plusieurs navires s’en retournent chargés de ton pays.
– Ha, ha, dit mon sauvage, tu me contes merveilles. »
Puis ayant bien retenu ce que je lui venais de dire, m’interrogeant plus outre, dit :
« Mais cet homme tant riche dont tu me parles, ne meurt-il point ? »
« – Si fait, si fait, lui dis-je, aussi bien que les autres. »
Sur quoi, comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuivent fort bien un propos jusqu’au bout, il me demanda derechef :
« Et quand donc il est mort, à qui est tout le bien qu’il laisse ? »
« – À ses enfants, s’il en a, et à défaut d’iceux à ses frères, sœurs ou plus prochains parents. »
« – Vraiment, dit alors mon vieillard (lequel comme vous jugerez n’était nullement lourdaud), à cette heure connais-je que vous autres Mairs, c’est-à-dire Français, êtes de grands fols : car vous faut-il tant travailler à passer la mer, sur laquelle (comme vous nous dites étant arrivés par-deçà) vous endurez tant de maux, pour amasser des richesses ou à vos enfants ou à ceux qui survivent après vous ? La terre qui vous a nourris n’est-elle pas aussi suffisante pour les nourrir ? Nous avons (ajouta-t-il), des parents et des enfants, lesquels, comme tu vois, nous aimons et chérissons ; mais parce que nous nous assurons qu’après notre mort la terre qui nous a nourris les nourrira, sans nous en soucier plus avant, nous nous reposons sur cela. »
Voilà sommairement et au vrai le discours que j’ai ouï de la propre bouche d’un pauvre sauvage américain.

Jean de Léry
Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil , Chapitre XIII 
1578