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Marguerite Yourcenar est la première femme qui a été élue à l'Académie Française. Elle a écrit un roman historique qui nous fait découvrir le portrait de l’empereur romain Hadrien, qui a régné au IIe siècle après JC. Mais Les Mémoires d’Hadrien se présentent également comme une lettre écrite par l’empereur vieillissant à son petit-fils adoptif de dix-sept ans, Marc Aurèle, qui devrait lui succéder bientôt : il veut le préparer à sa haute fonction. Ce récit est donc écrit à la première personne.

« La lettre est divisée en six grandes parties. Dans la première partie, Hadrien décrit son quotidien de malade : atteint d’une maladie du cœur, il sent ses forces décliner et la mort approcher. Mais progressivement, son objectif va changer. Il décide de poursuivre sa lettre et de faire au jeune homme le récit de sa vie. Dans la deuxième partie, Hadrien raconte son enfance en Espagne, ses études à Rome et en Grèce et sa formation à l’armée. Il explique qu’il s’est rapproché de son cousin Trajan qui vient d’être nommé empereur, mais ce dernier restera toujours méfiant à son égard. Lorsque Trajan se décide à mener une guerre contre les Parthes, Hadrien s’y oppose et ne part pas combattre. Trajan meurt durant son voyage de retour pour Rome. Il a désigné, par testament, Hadrien comme le nouvel empereur. Dans la troisième partie, Tellus stabilita (la terre retrouve sa stabilité), Hadrien raconte son travail d’empereur qui a construit la paix et reconstruit son empire. Dans ce passage, Hadrien contemple Rome. Son regard balaie l'espace, mais aussi le temps : il a conscience de la tâche qui l'attend, et souhaite l'extension de Rome : il se fait donc « visionnaire »

Rome n'est plus dans Rome : elle doit périr, ou s'égaler désormais à la moitié du monde. Ces toits, ces terrasses, ces îlots de maisons que le soleil couchant dore d'un si beau rose ne sont plus, comme au temps de nos rois, craintivement entourés de remparts ; j'ai reconstruit moi-même une bonne partie de ceux-ci le long des forêts germaniques et sur les landes bretonnes. Chaque fois que j'ai regardé de loin, au détour de quelque route ensoleillée, une acropole grecque, et sa ville parfaite comme une fleur, reliée à sa colline comme un calice à sa tige, je sentais que cette plante incomparable était limitée par sa perfection même, accomplie sur un point de l'espace et dans un segment du temps. Sa seule chance d'expansion, comme les plantes, était sa graine : la semence d'idées dont la Grèce a fécondé le monde. Mais Rome plus lourde , plus informe, plus vaguement étalée dans sa plaine au bord de son fleuve, s'organisait vers des développements plus vastes : la cité est devenue l’État. J'aurais voulu que l’État s'élargît encore, devînt ordre du monde, ordre des choses. Des vertus qui suffisaient pour la petite ville des sept collines auraient à s'assouplir, à se diversifier, pour convenir à toute la terre. Rome, que j'osai le premier qualifier d'éternelle, s'assimilerait de plus en plus aux déesses-mères des cultes d'Asie : progénitrice des jeunes hommes et des moissons, serrant dans son sein des lions et des ruches d'abeilles. Mais toute création humaine qui prétend à l'éternité doit s'adapter aux rythmes changeant des grands objets naturels, s'accorder au temps des astres.

Marguerite Yourcenar
Mémoires d'Hadrien , 3ème partie : « Tellus Stabilita » (Vue de Rome)
1951