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Dans les Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar donne la parole à l’empereur Hadrien, à la fin de sa vie, dans une longue lettre adressée à son fils adoptif, Marc-Aurèle, qu’il destine à sa succession. Cette lettre devient récit de vie, et cette autobiographie fictive est une grande réflexion sur le pouvoir, la paix dans l’empire, et la nature humaine. Le récit est une longue analepse, s’achevant au présent d’écriture à la mort d’Hadrien.

Le dernier passage du roman est la narration par l’empereur lui-même de ses derniers instants. On le voit entouré de ses proches, profiter de ses derniers moments terrestres. Il s’adresse enfin à son âme, avant de cesser d’écrire.


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Ils m’ont emmené à Baïes ; par ces chaleurs de juillet, le trajet a été pénible, mais je respire mieux au bord de la mer. La vague fait sur le rivage son murmure de soie froissée et de caresse ; je jouis encore des longs soirs roses. Mais je ne tiens plus ces tablettes que pour occuper mes mains, qui s’agitent malgré moi. J’ai envoyé chercher Antonin ; un courrier lancé à fond de train est parti pour Rome. Bruit des sabots de Borysthènes, galop du Cavalier Thrace… Le petit groupe des intimes se presse à mon chevet. Chabrias me fait pitié : les larmes conviennent mal aux rides des vieillards. Le beau visage de Céler est comme toujours étrangement calme ; il s’applique à me soigner sans rien laisser voir de ce qui pourrait ajouter à l’inquiétude ou à la fatigue d’un malade. Mais Diotime sanglote, la tête enfouie dans les coussins. J’ai assuré son avenir ; il n’aime pas l’Italie ; il pourra réaliser son rêve, qui est de retourner à Gadara et d’y ouvrir avec un ami une école d’éloquence ; il n’a rien à perdre à ma mort. Et pourtant la mince épaule s’agite convulsivement sous les plis de la tunique ; je sens sous mes doigts des pleurs délicieux. Hadrien jusqu’au bout aura été humainement aimé.
Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus… Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts…

Marguerite Yourcenar
Mémoires d'Hadrien , derniers paragraphes du roman, à la fin de la sixième et dernière partie Patientia. (la mort d’Hadrien)
1951