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La tragédie du poète baroque Théophile de Viau est une réécriture du mythe de Pyrame et Thisbé conté par Ovide dans ses Métamorphoses et à l’origine également de la pièce de Shakespeare, Romeo et Juliette. Deux jeunes Babyloniens auxquels leur famille refuse le mariage décident de fuir mais à la suite d’un malentendu, Pyrame croit sa fiancée morte et se tue, tandis que celle-ci ne peut survivre à son amant en découvrant son corps inanimé. L’auteur ajoute au mythe quelques rebondissements, en particulier, la rivalité amoureuse entre Pyrame et le Roi qui veut sa perte et le songe prémonitoire de la mère qui préfère accorder l’union que de voir périr sa fille. La fin est malheureuse, les deux amants mourant de leur serment.

Thisbé venue au rendez-vous amoureux a été contrainte par la présence d’une lionne de se cacher. Son amant arrivé après elle sur les lieux et découvrant le voile ensanglanté de l’aimée se tue. Il colore de son sang les mûres jusque-là blanches. La tirade de Thisbé évoque son désespoir et sa volonté de mourir pour rejoindre Pyrame. La scène a fait l’objet d’un scandale car elle remet en question la survivance de l’âme ce qui a valu un procès à son auteur.


Autre lien possible pour information, avec vidéo dailymotion : www.dailymotion.com/.../xb5fg7_pyrame-et-thisbe_cr Document d’Arte sur l’adaptation de Benjamin Lazar (avec prononciation et gestuelle restituées)

Quoi ? Je respire encore et regardant Pyrame
Trépassé devant moi, je n’ai point perdu l’âme !
Je vois que ce rocher s’est éclaté de deuil
Pour répandre des pleurs, pour m’ouvrir un cercueil.
Ce ruisseau fuit d’horreur qu’il a de mon injure,
Il en est sans repos, ses rives sans verdure ;
Même, au lieu de donner de la rosée aux fleurs,
L’Aurore à ce matin n’a versé que des pleurs,
Et cet arbre, touché d’un désespoir visible,
A bien trouvé du sang dans son tronc insensible,
Son fruit en a changé, la lune en a blêmi,
Et la terre a sué du sang qu’il a vomi.
Bel arbre, puisque au monde après moi tu demeures,
Pour mieux faire paraître au Ciel tes rouges meures
Et lui montrer le tort qu’il a fait à mes vœux,
Fais comme moi, de grâce, arrache tes cheveux,
Ouvre-toi l’estomac et fais couler à force
Cette sanglante humeur par toute ton écorce.
Mais que me sert ton deuil ? Rameaux, prés verdissants,
Qu’à soulager mon mal vous êtes impuissants !
Quand bien vous mourriez, on voit la destinée
Ramener votre vie en ramenant l’année :
Une fois tous les ans, nous vous voyons mourir,
Une fois tous les ans, nous vous voyons fleurir.
Mais mon Pyrame est mort sans espoir qu’il retourne
De ces pâles manoirs où son esprit séjourne.
Depuis que le soleil nous voit naître et finir,
Le premier des défunts est encore à venir,
Et quand les Dieux demain me le feraient revivre,
Je me suis résolue aujourd’hui de le suivre. […]
Que donc ton bras sur moi davantage demeure,
Ô mort ! et, s’il se peut, que plus que lui je meure !
Que je sente à la fois poison, flammes et fers !
Sus ! Qui me vient ouvrir la porte des Enfers ?
Ha ! Voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement ; il en rougit, le traître !
Exécrable bourreau, si tu te veux laver
Du crime commencé, tu n’as qu’à l’achever ;
Enfonce là-dedans, rends-toi plus rude, et pousse
Des feux avec ta lame ! Hélas ! Elle est trop douce.
Je ne pouvais mourir d’un coup plus gracieux ,
Ni pour un autre objet haïr celui des Cieux. (elle meurt)

Théophile de Viau
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé , Acte V, sc.2, v.1179-1234 (La plainte de l’amante)
1621 (création) ; 1623 (représentation)