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A la fin du XVI° siècle, le roman commence son essor en s'appuyant sur les modèles espagnols et italiens. Apparaissent ensuite des romans sentimentaux (L'Astrée), des romans héroïques (Le Grand Cyrus et La Clélie qui contient la fameuse « Carte du Tendre » de Mlle de Scudéry ) mais aussi des parodies, des « anti-romans » comiques (Charles Sorel, Le Berger extravagant) qui s'écartent des récits tragiques narrant les épopées guerrières. Cyrano de Bergerac (1619-1655) propose de brillants voyages imaginaires. Scarron (1610-1660) est connu pour avoir composé une épopée burlesque, une parodie des sept premiers chants de l'Enéide mais surtout pour Le Roman comique (1651-1657). L'auteur avait séjourné au Mans entre 1632 et 1640 et y avait observé la vie d'une troupe de comédiens ambulants sous Louis XIII.

L'incipit du Roman comique nous livre la description de l'arrivée de la troupe à l'auberge de la Biche. Pour payer leur séjour, ils joueront une pièce qui se terminera en bagarre.

Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course, et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais, au lieu de tirer de toutes leurs forces, ils ne s'amusaient qu' à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir, et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette était attelée de quatre bœufs fort maigres, conduits par une jument poulinière, dont le poulain allait et venait à l'entour de la charrette comme un petit fou qu'il était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes, qui faisaient comme une pyramide, au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre d'habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un œil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui faisaient comme une bandoulière, au bas de laquelle pendaient par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d'avoir été pris à la petite guerre. Au lieu de chapeau, il n' avait qu'un bonnet de nuit, entortillé de jarretière de différentes couleurs et cet habillement de tête était une manière de turban qui n' était encore qu' ébauché et auquel on n' avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette, ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir son épée qui était si longue qu'on ne s'en pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses trouées à bas d'attaches, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l'Antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l'antique que les boues avaient gâtés jusqu'à la cheville du pied. Un vieillard, vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de viole, et, parce qu'il se courbait un peu en marchant, on l'eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur ses jambes de derrière.

Paul Scarron
Le Roman comique, première partie, chapitre I 
1651