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Nathalie Sarraute, née Natalia Ilinitchna Tcherniak en 1900, fait le récit de ses souvenirs d’enfance. En quête de la plus grande sincérité, elle adopte une forme originale, celle d’un dialogue qu’elle instaure avec elle-même. Elle y raconte ses origines russes, sa vie avec ses parents. Leur séparation l’amène à vivre avec l’un ou l’autre, en Russie et à Paris.

Elle évoque le sentiment de la peur qui la saisit, une fois couchée, et l’empêche de s’endormir. Il s’agit d’un épisode isolé, sans précision d’âge. Elle vit alors avec sa mère, son beau-père et « une bonne qui s’occupe d’[elle] ».


BNF : http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_1196.htm Portrait de l’auteure, photographie de 1986.
Vidéo INA : https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01229/le-nouveau-roman-et-nathalie-sarraute.html Nathalie Sarraute présente une autre œuvre, Tropismes, en 1957.

J’ai beau me recroqueviller, me rouler en boule, me dissimuler tout entière sous mes couvertures, la peur, une peur comme je ne me rappelle pas en avoir connue depuis, se glisse vers moi, s’infiltre… C’est de là qu’elle vient… je n’ai pas besoin de regarder, je sens qu’elle est là partout… elle donne à cette lumière sa teinte verdâtre… c’est elle, cette allée d’arbres pointus, rigides et sombres, aux troncs livides… elle est cette procession de fantômes revêtus de longues robes blanches qui s’avancent en file lugubre vers des dalles grises… elle vacille dans les flammes des grands cierges blafards qu’ils portent… elle s’épand tout autour, emplit ma chambre… Je voudrais m’échapper, mais je n’ai pas le courage de traverser l’espace imprégné d’elle, qui sépare mon lit de la porte.
Je parviens enfin à sortir ma tête un instant pour appeler… On vient… « Qu’y a-t-il encore ? – On a oublié de recouvrir le tableau. – C’est pourtant vrai… Quel enfant fou… On prend n’importe quoi, une serviette de toilette, un vêtement, et on l’accroche le long de la partie supérieure du cadre… Voilà, on ne voit plus rien… Tu n’as plus peur ? – Non, c’est fini. » Je peux m’étendre de tout mon long dans mon lit, poser ma tête sur l’oreiller, me détendre… Je peux regarder le mur à gauche de la fenêtre… la peur a disparu.
Une grande personne avec l’air désinvolte, insouciant, le regard impassible des prestidigitateurs l’a escamotée en un tour de main.

Nathalie Sarraute
Enfance , Fin du premier tiers de l’ouvrage (la peur)
1983