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BAUDELAIRE a 35 ans lorsqu’a lieu la 1ère parution de son recueil Les Fleurs du mal. Même s’il avait écrit la plupart de ses poèmes dix ans plus tôt, ce n’est que tardivement qu’il songe à les réunir et à les éditer. Son projet de publication a connu un parcours assez chaotique. Il connaît des difficultés à trouver un titre, des difficultés à créer aussi – c’est une longue période de Spleen qu’il vivra et des difficultés vis à vis de la justice qui s’attaque au poète pour faire condamner le recueil. Le titre choisi ne laisse pas le lecteur indifférent : le paradoxe qui est mis en relief est révélateur de la structure de l’œuvre et de ses inspirations. Il va choquer les bien-pensants en bouleversant toute la tradition littéraire et montrer qu’une beauté propre au Mal existe. Il apparaît comme celui qui transforme le monde à la manière d’un alchimiste : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrit-il. Il fait face à un procès en 1857, qui lui impose le retrait de six pièces de cette 1ère édition qui en comporte cent (nombre emblématique pour lui). Il est très affecté par cette décision et cette censure mais réfléchit au projet de sa 2ème édition – celle de 1861 - à laquelle il va offrir une nouvelle structure : il ajoute une nouvelle section « Tableaux parisiens » qui prendra en quelque sorte la place des pièces condamnées et s’installera tout de suite après « Spleen et Idéal », précédant « Le Vin », « Fleurs du Mal », « Révolte » et « La Mort ». Au total son nouveau projet rassemble 126 poèmes : un recueil complet dont Baudelaire aimerait «qu'on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album, mais qu’il a un commencement et une fin ».

Baudelaire a connu les îles Mascareignes en 1841 et pourrait avoir vu des marins capturer pour en jouer des albatros. Le poème aurait été composé en 1842. Pour rappel, ce voyage dans l’Océan Indien lui avait été imposé par décision d’un conseil de famille et son beau-père, le général Aupick, qui voulait l’éloigner de ses fréquentations parisiennes. Baudelaire a refusé lors de son escale à l’île Maurice de rembarquer vers Calcutta avant d’avoir reçu la promesse d’être transféré vers la France dès son arrivée sur l’île Bourbon. Dix-huit ans se sont écoulés entre le moment où il a pu voir la scène et l’écriture du poème. Mais d’autres sources sont possibles : E.A. Poe ou Musset. Quelques exemplaires du poème, imprimés à Honfleur, avaient été envoyés par Baudelaire à quelques amis en février 1859, 18 ans après le voyage. « La pièce de L’Albatros est un diamant !  Seulement je voudrais une strophe entre la deuxième et la dernière pour insister sur la gaucherie, du moins sur la gêne de l’albatros pour faire tableau de son embarras . Et il me semble que la dernière strophe rejaillirait plus puissante comme effet », lui avait alors conseillé Charles ASSELINEAU. Ce poème sera publié pour la 1° fois le 10 avril 1859 dans La Revue Française. Il paraîtra sous sa forme définitive dans la 3° édition des Fleurs du Mal (décembre 1868).


Le procès des Fleurs du Mal http://edutheque.retronews.fr/retrofiles/view/le-proces-des-fleurs-du-mal-en-1857?ticket=ST-177870-QfXDJje7XUbfQGF1XxPc-cas.eduthequedev.cndp.lan
Portrait de Baudelaire par Duroy : https://histoire-image.org/node/5492
Baudelaire photographié par Nadar : https://histoire-image.org/node/5187

1
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
 
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
 
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
 
Le navire glissant sur les gouffres amers.

5
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
 
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
 
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
 
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

9
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
 
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
 
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
 
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

13
Le Poète est semblable au prince des nuées
 
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
 
Exilé sur le sol au milieu des huées,
 
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.


Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal , « Spleen et Idéal »   « L'Albatros »
1859