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Arthur Rimbaud est l'un des poètes majeurs de la littérature française. Il est né à Charleville en 1854. Il passe son enfance dans un milieu étroit et rigoriste. C'est dans l'univers de la littérature qu'il entrevoit un souffle de liberté. Il découvre la poésie à travers des compositions scolaires. Les vers qu'il rédige en latin révèlent son inventivité et sa maîtrise précoce de l'écriture. Grâce à son jeune professeur de rhétorique, il découvre les poètes de son temps : Gautier, Leconte de Lisle, Théodore de Banville et surtout Victor Hugo dont il admire la fantaisie. C'est quelques semaines avant de s'enfuir à Paris, fin août 1870, au moment du désastre de Sedan, qu'il écrit des poèmes particulièrement sarcastiques vis à vis de la société bourgeoise.

Pétrus Borel et Baudelaire, dans des tons différents, ont déjà parlé des musiques de régiment. Le programme du concert donné le 7 juillet 1870 par la musique du 6e de ligne comprend la « valse des fifres » dont parle le jeune Rimbaud. Ce dernier, qui termine à cette date son année de rhétorique, est très intéressé par le poète Albert Glatigny, alias « le Premier des Parnassiens » dont il reprend le thème des Promenades d'hiver dans le poème intitulé « À la musique ». Il apprécie dans son écriture un certain irrespect, le goût pour les enfantillages, un réalisme imagé et audacieux. En août et en septembre, Rimbaud améliore son poème pour lui donner plus de force et plus d'impertinence encore. En juillet, les notaires « montraient » leurs breloques ; en octobre, ils y « pendent ».

1
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
 
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
 
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
 
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

5
- L' orchestre militaire, au milieu du jardin,
 
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
 
- Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
 
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

9
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
 
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
 
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
 
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

13
Sur les bancs verts, des clubs d' épiciers retraités
 
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
 
Fort sérieusement discutent les traités,
 
Puis prisent en argent, et reprennent : « En somme ! ... »

17
Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
 
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
 
Savoure son onnaing d' où le tabac par brins
 
Déborde - vous savez, c' est de la contrebande ; -

21
Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
 
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
 
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
 
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes ...

25
- Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
 
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
 
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
 
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes .

29
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
 
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
 
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
 
Le dos divin après la courbe des épaules .

33
J' ai bientôt déniché la bottine, le bas ...
 
- Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
 
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas ...
 
- Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres ...


Arthur Rimbaud
Poésies , « À la musique » 
1870