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Après avoir écrit des odes remarquées en l'honneur du roi, le jeune Jean Racine est introduit dans des salons puis à la cour de Versailles. Louis XIV y réunit autour de lui les meilleurs poètes et dramaturges pour divertir les courtisans au sein même du château. Les thèmes mythologiques sont à la mode, notamment celui de Phèdre, souvent mis en scène. C'est en 1677, sous le titre Phèdre et Hippolyte (qui sera changé dix ans plus tard), que Racine fait jouer sa pièce, à Paris, par la Champmeslé, la célèbre tragédienne. Ce rôle qui interroge la passion et la force du destin est des plus flamboyants pour les grandes comédiennes françaises.

La pièce s'ouvre sur le départ d’Hippolyte quittant Trézène, ville de Grèce. Il dit à son confident vouloir rechercher son père, Thésée, le célèbre héros athénien. Puis le jeune homme annonce vouloir fuir sa belle-mère, Phèdre, qui manifeste à son égard une grande aversion. Il finit par avouer enfin que c'est Aricie, princesse ennemie et sa prisonnière, qu'il veut fuir, parce qu'il l'aime, malgré l'interdiction faite par son père. Phèdre, de son côté, se meurt. Œnone, sa confidente, cherche à comprendre l'origine de son mal. Dans l'Acte I, scène 3, Phèdre avoue enfin la nature de ses sentiments pour son beau-fils.


Racine, Phèdre : Sarah Bernard dans Phèdre, document iconographique (1893) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438727f/f2.item.r=Racine,%20Jean%20ph%C3%A8dre


Œnone
Que faites-vous, Madame ? Et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd'hui ?

Phèdre
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.

Œnone
Aimez-vous ?

Phèdre
De l'amour j' ai toutes les fureurs.

Œnone
Pour qui ?

Phèdre
Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J' aime... à ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J' aime...

Œnone
Qui ?

Phèdre
Tu connais ce Fils de l' Amazone,
Ce Prince si longtemps par moi-même opprimé ?

Œnone
Hippolyte ? Grands Dieux !

Phèdre
C'est toi qui l' as nommé !

Œnone
Juste ciel ! Tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! Ô crime ! Ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux ?

Phèdre
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d' Égée
Sous les lois de l'hymen je m' étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l' orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l' encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J' adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer.
J' offrais tout à ce dieu, que je n' osais nommer.
Je l' évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j' osai me révolter :
J' excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l'ennemi dont j' étais idolâtre,
J' affectai les chagrins d'une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent du sein, et des bras paternels.
Je respirais, Œnone. Et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l' innocence ;
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J' ai revu l'Ennemi que j' avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n' est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C' est Vénus toute entière à sa proie attachée.

Jean Racine
Phèdre , acte I, scène 3 
1677